De notre correspondante
à New York
En avril 2000, l'équipe des Prs Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo (hôpital Necker - Enfants-Malades, Paris) prouvait l'efficacité de la thérapie génique chez les « enfants bulles » (« Science », 28 avril 2000). Ces jeunes enfants, atteints d'un déficit immunitaire combiné sévère lié à l'X (SCID-X), étaient privés des lymphocytes T et des cellules tueuses NK (Natural Killers), indispensables pour lutter contre les infections, et contraints de vivre dans des bulles stériles en attendant de pouvoir bénéficier d'une hypothétique greffe de moelle osseuse, seul traitement existant.
Le SCID-X résulte de la mutation d'un gène (chaîne gamma du récepteur IL2) ; ce déficit dans les cellules précurseurs des lymphocytes T et des cellules NK, logées dans la moelle osseuse, bloque leur différenciation.
L'essai de thérapie génique chez 10 enfants atteints de SCID-X a été conduit avec succès. Les précurseurs et les cellules souches de la moelle osseuse ont été prélevés, mis en culture, infectés par un rétrovirus contenant une copie normale du gène déficient, puis réinjectés respectivement chez les enfants. Le déficit immunitaire a été ainsi corrigé chez 9 des 10 patients. Le bénéfice clinique se maintient plus de quatre ans après.
Ces résultats sont prometteurs puisque la greffe de moelle donne des taux de correction plus faibles, avec une morbi-mortalité plus élevée.
Prolifération clonale des lymphocytes T matures
Toutefois, comme pour toute nouvelle thérapie, des effets secondaires étaient attendus. En janvier 2003, presque trois ans après la thérapie génique, les deux plus jeunes enfants traités ont développé une maladie apparentée à la leucémie. Les essais cliniques ont été interrompus et les deux cas de leucémie ont fait l'objet d'une investigation.
L'équipe du Pr Alain Fischer décrit dans la revue « Science » les résultats de cette investigation.
Les deux enfants, traités par thérapie génique à l'âge de 1 et 3 mois, ont développé, trente et trente-quatre mois après, une prolifération clonale non contrôlée des lymphocytes T matures. Après traitement de la leucémie, ils sont tous deux en rémission clinique et se portent bien.
Les chercheurs ont vérifié que le rétrovirus inséré est incapable de réplication.
De façon surprenante, les clones T des deux patients présentent la même intégration du vecteur rétroviral dans le voisinage du promoteur du proto-oncogène LMO2, laquelle entraîne une expression anormalement accrue du gène LMO2, un facteur de transcription requis pour l'hématopoïèse.
La recherche de facteurs de risque
Cette découverte est inattendue pour deux raisons. Jusqu'à maintenant, on pensait que l'insertion rétrovirale dans le contexte de la thérapie génique se faisait de façon largement aléatoire. Il reste à savoir s'il existe réellement un « point chaud physique » d'intégration au locus LMO2, ou si les intégrations LMO2 sont sélectionnées par un avantage de croissance cellulaire.
Deuxièmement, si le risque de mutagenèse d'insertion par intégration rétrovirale aléatoire avait été soulevé, ce risque était considéré comme très faible puisqu'il n'avait jamais été observé dans un essai clinique. « L'évaluation de ce risque est maintenant sérieusement remise en cause par notre observation » (deux leucémies chez dix patients), notent Hacein-Bey-Abina, Fischer et coll.
Un certain nombre de facteurs de risque, liés au protocole et à la maladie, pourraient avoir contribué au développement de la leucémie, suggère l'équipe. L'identification de ces facteurs pourrait aider à assurer la sécurité des futures stratégies modifiées de thérapie génique.
« Il serait irréaliste de ne pas attendre des effets secondaires de la thérapie génique », notent dans un commentaire, le Dr Williams (Cincinnati Children's Hospital Medical Center) et le Dr Baum (Ecole médicale d'Hanover, Allemagne). Ils suggèrent trois façons de limiter les effets secondaires possibles des interventions génétiques : améliorer les vecteurs ; définir des sites d'intégration non mutagènes et cibler les vecteurs vers ces sites ; ou corriger un tout petit nombre de cellules souches ex vivo qui sont vérifiées génétiquement avant leur réinjection chez le patient.
« Science » du 17 octobre 2003, p. 415.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature