ÉVIDEMMENT, le premier mouvement serait de rire – sous cape. Non seulement ce projet de combinaison antigrippe aviaire n’a pas été élaboré par un laboratoire certifié, avec une équipe de chercheurs dûment patentés, mais il est l’oeuvre d’une auteure bien connue des amateurs de polars sous le nom de Fred Vargas. «C’est un peu l’histoire de Candide égaré au pays des virologues et des nanotechnologies, convient elle-même Frédérique Audoin-Rouzeau. Le décalage scientifique entre le Tamiflu et ma cape est énorme. Mais ce n’est pas parce qu’une idée est simple qu’elle est mauvaise. Et j’aurais pu faire un produit beaucoup plus complexe sans qu’il atteigne cette efficacité.»
Simple, le concept, en effet, n’est pas beaucoup plus sophistiqué qu’une pélerine de pluie semblable à celle que portent les cyclistes. La tenue se compose de deux cercles d’abat-jour en fer, le premier fixé au-dessus de la tête, le second au-dessus des épaules, qui dessinent une sorte de heaume soudé à la cape proprement dite, munie de deux manches et qui descend jusqu’à hauteur des chaussures ; le matériau choisi est un plastique transparent semi-rigide, la fermeture s’effectue avec une glissière protégée par un rabat, une ceinture permettant de resserrer la combinaison autour de la taille, en fonction des circonstances.
Cyanosé en un quart d’heure sous le premier prototype.
Cette version fait suite à plusieurs prototypes qui ont été modifiés. «Le premier était rapidement irrespirable, avec une accumulation de CO2qui vous cyanosait en un quart d’heure, raconte sa conceptrice ; il a fallu adopter le principe d’un heaume plus large, qui permet de tenir une heure sans problème, tout au plus avec une sensation de chaleur.»
C’est le fils de Frédérique Audoin-Rouzeau, âgé de 18 ans, qui a joué les cobayes-mannequins, descendant dans les rues de Paris ainsi accoutré. «Evidemment, ça vous a un côté “2001, Odyssée de l’espace” qui ne passe pas franchement inaperçu», constate la mère. Mais le ridicule, contrairement au H5N1, ne tue pas. Et, ajoute-t-elle, «lorsque surgira la pandémie, 48heures suffiront pour que plus personne ne se retourne, la cape anti-GA (anti-grippe aviaire) sera vite banalisée.»
Car l’argument aura vite fait de convaincre les foules : «Le principe, c’est que l’on inspire l’air par le bas, un air qui n’est pas chargé des aérosols de H5N1. Vous pouvez traverser sans risque les nuages miasmatiques car, dans les rues, comme dans les logements, les aérosols se dispersent en retombant. Sauf dans les espaces ventilés ou climatisés où elles sont pulsées, les gouttelettes contaminées et contaminantes ne restent pas aéroportées.»
C’est de ce principe élémentaire de la gravitation appliquée aux aérosols que découle l’idée. Mais la littérature reste, semble-t-il, muette sur la question. Des tests vont donc être nécessaires pour s’assurer de la validité scientifique de la découverte.
Pour en expliquer la genèse, Frédérique Audoin-Rouzeau revient sur son expérience d’archéozoologue. Spécialiste de l’histoire des relations entre l’homme et les animaux, médaille de bronze du Cnrs, connue pour ses travaux sur l’histoire du rat noir, elle a publié un ouvrage de référence, « les Chemins de la peste »*. Elle y étend ses investigations à la trilogie rat-puce-homme, en examinant les modalités de combinaison des trois qui les rendent porteurs de la peste. Mettant l’accent sur les puces vectrices, elle établit des cartographies épidémiologiques et met en évidence des faits observés sans explication à l’époque des grandes pestes. «Par exemple, j’ai compris que si un cavalier avait pu réchapper de la grande peste de Marseille en 1720, c’est parce que les puces de rat ne supportent pas les odeurs de cheval; de même, les porteurs d’huile n’étaient pas victimes du bacille, car ils étaient enduits d’une graisse imprenable pour les puces.
Ces découvertes empiriques auraient certainement épargné des vies par millions si elles avaient été faites dès le Moyen Age.»
Ame lourde et dislocation sociale.
«C’est une semblable trouvaille, appliquée à la montée du risque de pandémie aviaire, que j’ai donc recherchée depuis qu’en 2004 les médias évoquent abondamment le H5N1. J’ai réalisé que l’épidémie se propage comme un feu de prairie et que, malgré tous les dénis, elle était inéluctable. En lisant tous les articles publiés dans la presse grand public avec un regard d’historien qui voit l’histoire se faire en direct, j’ai réalisé l’identité qui subsiste entre les grandes pestes du Moyen Age et la pandémie aviaire: finalement, les êtres humains n’ont guère changé. Face au péril épidémique, les mêmes comportements de dislocation sociale risquent de se renouveler. L’âme lourde de l’humanité nous ravale alors à un état de sauvagerie panique tel qu’on a pu encore l’observer à la Nouvelle-Orléans, après le passage du cyclone Katrina.
Les différences dans les taux de létalité, que la proportion de morts atteignent 2 ou 20%, la disparité dans les connaissances médicales et scientifiques, le degré dit de civilisation, tout cela ne résiste pas au grand vent de panique qui se met à souffler, provoquant émeutes, pillages, meurtres, abandons des autorités, hors de tout contrôle. Je me suis donc attelée à la tâche d’élaborer une protection qui soit capable de rompre les chaînes d’angoisse: un produit tout à la fois prophylactique, peu cher, maniable, éventuellement fabricable à la maison par tout un chacun. Ainsi est né le premier prototype de cape anti-GA.»
De fait, le cahier des charges semble rempli, dès lors du moins que l’aspect prophylactique sera vérifié ; la cape pourrait avoir un coût de fabrication de quelques euros seulement, elle serait opérationnelle aussi bien dans les pays pauvres que développés, réemployable après quatre heures sans traitement spécifique, puisque le H5N1 ne survit pas plus longtemps sur un matériau comme le plastique. Les procédures de déshabillage, les systèmes de fermeture, le réglage des ceintures, le port de gants en latex, tout a fait l’objet de minutieuses vérifications. «L’objectif, souligne Frédérique Audoin-Rouzeau, c’est que tout un chacun, équipé de pied en… cape, puisse quitter sans risque son domicile pour aller faire des courses vitales, comme l’achat de Tamiflu à la pharmacie du coin, sans s’exposer au risque d’être contaminé. Cela permettra d’éradiquer le risque de panique dans la population, tout en réduisant le nombre des morts.»
Dans quelle proportion ? Là encore, l’évaluation scientifique répondra. L’archéozoologue pronostique pour sa part un score qui pourrait être compris entre 90 et 100 %. «En tout cas, aucun des médecins à qui j’ai présenté la cape n’a rigolé», se félicite-t-elle.
Témoin le Pr Jean-Philippe Derenne, chef du service de pneumologie de La Salpêtrière, coauteur (avec le Pr François Bricaire) de « Pandémie aviaire, la grande menace »**, qui salue «une initiative à la fois sérieuse et citoyenne, appuyée sur une observation anthropologique pertinente, attentive aux risques de destruc- turation de la société sous l’effet pandémique. Certes, Frédérique Audoin-Rouzeau n’est pas issue du sérail médical, mais c’est une scientifique pertinente qui va au fond des choses.»
Délégué interministériel à la grippe aviaire, le Pr Didier Houssin confirme que, « rien ne devant être a priori négligé, la cape anti-GA représente une idée à creuser, qui mérite qu’on mène des expériences sur son efficacité.»
Pragmatique, Xavier Bertrand vient de recevoir l’archéozoologue. Le ministre de la Santé devrait demander à l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) de mener une expertise. L’histoire ne dit pas si le ministre de la Santé a été lui-même emballé.
* Presses universitaires de Rennes 2003, 371 pages, 3,05 euros.
** Fayard, 325 pages, 19 euros.
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