C’EST UNE PETITE lettre d’une page qu’ont reçue à l’automne tous les médecins non télétransmetteurs du département de la Manche. Écrite dans un style fleuri par la direction de la Caisse primaire d’assurance-maladie de Caen, elle leur donne une foule d’informations.
La première, sans doute la mieux accueillie par les destinataires du courrier, est que la caisse ne leur enverra plus d’émissaires pour les « convaincre d’adopter SESAM Vitale » – aux praticiens, désormais, s’ils souhaitent finalement télétransmettre, de « prendre contact » avec l’assurance-maladie. La deuxième est que les médecins devront dorénavant se déplacer pour se procurer des feuilles de soins papier – « J’ai décidé de ne plus assurer leur livraison à votre cabinet », leur fait savoir le directeur. Troisième nouvelle : « J’ai aussi le regret de vous annoncer que le conditionnement de vos feuilles de soins sera revu à la baisse » (les lots couvrent entre 15 jours et trois semaines d’activité). « Il ne vous sera délivré qu’un seul paquet à la fois », c’est un quatrième point. Cerise sur le gâteau – et cinquième et dernière information : « Pour des raisons de sécurité, les paquets de feuilles de soins, pré-identifiées, ne pourront vous être délivrées qu’en mains propres » – pas question, donc, qu’un confrère se charge de la course pour plusieurs praticiens…
Pour résumer, dans la Manche, les « résistants à la télétransmission », ainsi que se surnomme l’un d’entre eux, doivent se déplacer tous les 15 ou 20 jours, munis d’une pièce d’identité, pour s’approvisionner en feuilles de soins papier dans les locaux de l’assurance-maladie. Pour certains d’entre eux, la balade se chiffre en dizaines de kilomètres.
Vieux stock à la rescousse.
« C’est du temps passé. Et des mesures vexatoires », se désole le Dr Jean-Pierre Ribet, un généraliste non-télétransmetteur de Coutances, qui peaufine sa parade. Ayant un stock suffisant de feuilles de soins, le Dr Ribet n’a pas eu besoin pour l’instant d’aller chercher un « petit paquet » à l’assurance-maladie. Que fera-t-il quand ses feuilles seront épuisées ? « Je ne sais pas si je me déplacerai tout de suite… J’ai encore chez moi des très vieilles feuilles, peut-être les utiliserai-je… »
Jean-Pierre Ribet n’aime décidément pas que l’assurance-maladie lui donne le sentiment d’être « un parasite ». Surtout qu’il note des fluctuations dans les usages : « Quand je me suis installé, il y a quinze ans, on était beaucoup harcelé. Puis les pouvoirs publics se sont aperçus que la France manquait de médecins, alors on a été un peu plus tranquille. Depuis 2009, ça recommence. On est visité, contrôlé, pour les statines, les arrêts de travail et que sais-je ! » Attaché à son « indépendance », le Dr Ribet aimerait encore mieux, s’il le pouvait, faire fabriquer ses feuilles de soins – et les régler sur ses deniers – à l’imprimerie que d’aller régulièrement montrer patte blanche à l’assurance-maladie pour renouveler son stock.
Le Dr Christian Bouffard, généraliste à Carentan, s’est pour sa part carrément enchaîné aux grilles de la caisse primaire pour dénoncer les « mesquineries » dont il s’estime victime. Il ne télétransmet pas, non pas par hostilité à l’informatique, mais parce qu’il ne voit pas pourquoi il paierait chaque mois « 30 euros de sa poche » (ce sont ses calculs) « pour rendre service à l’assurance-maladie ». Il y a quinze jours, il a fait son coup d’éclat alors qu’il s’était rendu à la caisse avec un autre médecin afin de « récupérer un paquet de feuilles de soins pour une consur malade ». L’opération, raconte-t-il, leur a pris deux heures.
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