Le président du Conseil de l’Ordre des médecins sommé de s’expliquer sur les plateaux de télévision, des milliers de patients furieux de se voir refuser une consultation, des pouvoirs publics gênés aux entournures. Le tout dans un contexte d’effondrement sans précédent des recettes d’assurance-maladie et de crise de la démographie médicale. Le moins qu’on puisse dire est que la dernière réforme du système de santé allemand, entrée en vigueur au début de l’année, a fait des remous dès que ses effets sont devenus visibles. Traditionnellement gros consommateurs de soins (dix contacts médicaux par an en moyenne), les patients allemands ont l’impression de payer au prix fort la pérennité d’un des plus anciens systèmes de santé d’Europe. Avec cette réforme, portée par la sociale-démocrate Ulla Schmidt (comme toutes depuis 2001...), les médecins deviennent, malgré eux, les régulateurs de la dépense. Ce qui ne va pas de soi dans un pays où le paiement à l’acte est quasiment inconnu.
Les médecins sont payés par les caisses d’assurance-maladie en fin de trimestre, en fonction de leur activité sur les trois derniers mois. Mais désormais, les pouvoirs publics ont fixé un plafond au-delà desquels les actes sont moins bien rémunérés. À la fin du premier trimestre, les inévitables « effets pervers » de cette régulation très mécanique de la dépense se sont fait sentir. Les associations de patients et de consommateurs, l’Ordre des médecins et surtout les médias ont été submergés de témoignages de patients à qui des médecins auraient remis des rendez-vous après le 1er avril. Au siège du Conseil de l’Ordre de médecins à Berlin, on ne nie pas complètement le problème. Mais si « des médecins avaient refusé des patients qui venaient consulter en urgence, les ordres auraient évidemment tout de suite réagi et sanctionné les praticiens concernés, affirme un de ses membres, le Dr Ramin Parsa-Parsi. Le président de l’Ordre a été beaucoup critiqué parce les gens ont compris qu’il justifiait ces reports supposés de consultation. En réalité, il demandait un véritable débat public sur l’accès aux soins ».
Pas de paiement à l’acte…
En moyenne, les généralistes allemands ont des revenus d’un niveau comparable à celui de leurs confrères français. Mais « la difficulté est qu’en Allemagne, les patients n’ont aucune idée de ce que coûtent les soins et combien un acte est facturé, explique le Dr Parsa-Parsi. Lors de la conférence nationale des médecins, nous avons évoqué notre préférence pour un système où les patients seraient remboursés a posteriori des honoraires qu’ils verseraient directement aux médecins ». D’autant que pendant longtemps, le « reste à charge » des patients est resté très faible, acquis social de la croissance économique des années soixante.
…mais un bouclier sanitaire
Un système généreux, mais déjà rogné à plusieurs reprises. La précédente réforme date de 2003. Elle avait été vécue de manière brutale : déremboursements (lunettes et prothèses dentaires) et introduction d’un système de franchises. Concrètement, chaque assuré paye une « taxe de cabinet » de 10 euros par trimestre sur les consultations. Pour les médicaments, la franchise est de l’ordre de 10 % du prix du médicament dans une fourchette comprise entre 5 et 10 euros par ordonnance. À l’hôpital, il existe un ticket modérateur de 10 euros par jour. Au total, les caisses ne peuvent pas demander une participation annuelle de l’assuré supérieure à 2 % de son revenu brut de l’année. Une sorte de « bouclier sanitaire » encore limité à 1 % du revenu pour les malades chroniques.
« La population a été très révoltée contre les franchises, reconnaît Thomas Renner, de l’unité « Aspects économiques du système de la santé » au ministère de la Santé à Berlin. Dans les premiers mois, il y a eu une baisse très forte de l’activité des médecins, jusqu’à 30 %. Puis, la situation s’est normalisée progressivement. » Autant dire que les franchises ont finalement eu peu d’effets. Et finalement, les pouvoirs publics ont décidé de changer leur fusil d’épaule dès 2006.
Les 197 caisses d’assurance- maladie ont désormais l’obligation de proposer à leurs adhérents une sorte de parcours de soins. Dès le 1er juillet, les patients qui consulteront un médecin spécialiste après avis d’un généraliste seront dispensés des franchises. Chez la compagnie d’assurance publique BKK (qui représente 14 millions d’assurés allemands), ce contrat facultatif a déjà séduit 521 000 assurés début juin. « Il est très difficile de dérembourser en Allemagne, car il y a une tradition historique qui fait que les caisses d’assurance-maladie prennent quasiment toutes les dépenses en charge », explique Susanne Wilhelmi, porte-parole de la BKK. Autre possibilité offerte par la loi aux caisses pour modérer les
dépenses : un système de bonus/ malus calqué sur les offres d’assurance automobile. Un contrat, également facultatif, propose à l’assuré une prime de 1 800 euros si, pendant trois ans, il n’a pas recouru au système de soins (à l’exception des examens de prévention) contre une franchise de 1 000 euros par an. Mais cette option a à peine convaincu quelques milliers d’assurés.
Pour le Dr Marina Bunge, député de Die Linke et présidente de la commission « Santé » au Bundestag, la réforme de 2007 ne répond pas aux enjeux. « Le texte est uniquement orienté sur les soins et ne prévoit rien pour la prévention », regrette-t-elle. Il a néanmoins eu le mérite de remettre à plat la question du financement de la protection sociale : désormais, les cotisations sociales sont unifiées et l’impôt a fait son entrée. Le bilan de cette réforme emblématique de la grande coalition SPD/CSU/ CDU sera probablement au menu des prochaines élections législatives à l’automne.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature