La bioéthique, un dossier essentiel passé sous silence

Publié le 10/04/2002
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La bioéthique ne semble pas être l'une des priorités de la campagne présidentielle. Bien que chacun estime qu'il est « essentiel », « urgentissime » même, ce dossier est l'un des grands absents des programmes des candidats.

Déjà, le gouvernement en place n'a pas jugé le projet de loi correspondant prioritaire, si l'on tient compte du retard important qu'a pris sa révision, initialement prévue en juillet 1999. Seule la première lecture du texte a pu être effectuée, le 22 janvier dernier à l'Assemblée. Ce qui rend possible la survenue de nouvelles modifications. Mais faute d'intérêt, ou simplement faute de temps, les candidats à la présidentielle ne se bousculent pas pour donner leur avis sur ce dossier complexe. Or l'enjeu est de taille : il s'agit de décider si oui ou non la recherche sur l'embryon sera autorisée, et dans quelles limites.
Christine Boutin est bien la seule à consacrer plusieurs lignes de son programme à la bioéthique. Son message est clair : non à toute forme de clonage, non à la recherche sur l'embryon. « La "chosification" de l'embryon comme matériau d'expérimentation est inacceptable », clame l'apôtre des valeurs familiales, qui dénonce « l'hypocrisie » de ceux qui se réfugient derrière la certitude de potentialités thérapeutiques « seulement envisagées ». Même si la motion de procédure qu'elle a déposée en janvier pour obtenir le rejet sans examen du projet de loi n'a pas abouti, Christine Boutin ne s'avoue pas vaincue. Pour la candidate apparentée UDF, les politiques doivent reprendre les rênes du débat bioéthique, injustement confisqué par les scientifiques. « Les spécialistes ne peuvent décemment être juge et partie », estime-t-elle. Dès lors, « c'est aux responsables politiques de s'assurer que le bien de chacun est préservé contre telle ou telle pratique ».

Accord contre le clonage thérapeutique

Pour les autres candidats, il faut se référer à leurs déclarations de janvier dernier ou à leur entretien dans « le Quotidien »pour connaître leur avis sur les différents sujets du dossier « bioéthique ». Le projet de loi se voulait consensuel, selon le gouvernement. En fait, le débat a fait rage à l'Assemblée, et ce indépendamment du clivage droite-gauche. Car les questions relatives à la bioéthique sont difficiles à rationaliser : les convictions personnelles et les croyances religieuses de chacun parlent en premier. Principaux sujets de discorde : l'interdiction du clonage thérapeutique et l'ouverture de la recherche sur l'embryon.
Un seul point a obtenu l'aval de tous les candidats : l'interdiction du clonage reproductif. Conscient qu'une telle mesure doit, pour être efficace, s'appliquer sur toute la surface du globe, Jacques Chirac recommande la création d'un comité d'éthique au sein des Nations unies, ainsi que l'adoption d'une convention internationale de bioéthique.
Le clonage thérapeutique, pour sa part, a longtemps opposé le président de la République et son Premier ministre. Depuis février 2001, Jacques Chirac ne cesse de rappeler son opposition à cette pratique, accusée de « créer les conditions matérielles du clonage thérapeutique », et « de conduire à des trafics d'ovocytes ». Lionel Jospin, en revanche, y était favorable, jusqu'au jour où le Conseil d'Etat a rendu un avis contre. Et visiblement, ce retournement de situation est définitif. « Etant très respectueux des prérogatives du Parlement, je me tiens au projet de loi tel qu'il a été adopté en première lecture, déclare le Premier ministre au "Quotidien" (27 mars 2002). Sur un tel sujet de société, il est fondamental que la représentation nationale joue pleinement son rôle. » Mettant en garde contre le risque de dérive vers le clonage reproductif, « d'autant plus que d'énormes enjeux économiques sont en cause », Robert Hue se réjouit pour sa part que le législateur n'ait pas levé l'interdiction du clonage à des fins thérapeutiques.

Embryons surnuméraires : la droite réticente

Autre sujet polémique, s'il en est : l'autorisation de la recherche sur les embryons surnuméraires, (c'est-à-dire sur les embryons congelés ne faisant plus l'objet d'un projet parental), l'une des principales modifications proposées par le projet de loi. Gage de tous les espoirs pour les uns, pratique inadmissible pour les autres... Là encore, le consensus n'est pas au rendez-vous. Globalement, la droite se montre plus réticente que la gauche. Pour Lionel Jospin, il n'est pas plus utilitariste de soigner des patients grâce à des cellules souches embryonnaires que de prélever des organes sur un mort en vue d'une greffe. Vive contestation de François Bayrou, qui considère qu' « il existe une liberté qui se manifeste à travers le don d'organes qui n'a rien à voir avec l'exploitation de l'embryon ». Refusant de considérer la vie comme une chose, le candidat UDF est en revanche favorable aux travaux sur les cellules souches adultes, « car, là, nous sommes dans l'ordre du don, et cela ne pose aucune difficulté ».
« Après longue réflexion »
Jacques Chirac a fini par se rallier à la position du gouvernement, et accepte les recherches sur les cellules embryonnaires « durant une période transitoire », « pour faire avancer les connaissances ». Mais à choisir, le candidat-président opte plutôt pour la recherche sur les cellules souches adultes, considérée comme « une priorité ».
Côté Verts, le député Noël Mamère déclarait en janvier que « la recherche sur l'embryon surnuméraire ne fait que chosifier l'embryon », en le transformant en « une sorte d'outil pour la médecine réparatrice ». Au nom du respect de tout embryon humain, le député s'est abstenu de voter un projet de loi qu'il taxait, à l'époque, de « pis-aller », de « vitrine de la fausse éthique ». Même si, depuis, le candidat ne s'est guère exprimé sur le sujet, nul doute que ses convictions soient restées les mêmes.
Dernier point sur lequel les candidats se montrent peu loquaces : la brevetabilité du génome humain. Seul Robert Hue, avoue y être « totalement opposé », « au nom du libre accès aux connaissances et à la non-marchandisation du vivant ». Le candidat communiste se réjouit donc de l'adoption à la dernière minute, le 21 janvier, d'un amendement interdisant la brevetabilité du vivant. Reste à voir quel sera le devenir du projet de loi, après son passage au Sénat.

La jurisprudence Perruche unaniment rejetée

L'amendement qui a mis fin à la jurisprudence Perruche (elle permettait l'indemnisation des enfants dont le handicap n'a pas été décelé avant la naissance) a été largement approuvé par la classe politique. Qu'ils soient de droite ou de gauche, la plupart des candidats estiment que nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. Robert Hue met en garde contre « l'excès de juridisme ». François Bayrou résume, quant à lui, la situation : « Lorsque le handicap a été provoqué par un acte médical, il est légitime qu'il y ait réparation. Mais lorsque le handicap est d'origine génétique ou virale, le médecin ne peut être rendu responsable. »
Dans ce cas, la compensation du préjudice relève de la solidarité nationale. Reste donc à améliorer la prise en charge du handicap. Lionel Jospin avoue être conscient que la nouvelle loi ne règle pas à elle seule ce problème. Pour mieux aider les handicapés et leurs familles, le candidat socialiste rappelle qu'il s'est engagé à réviser la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975. Jacques Chirac propose pour sa part un droit à la compensation du handicap, dont les modalités d'attribution restent à définir.

Delphine CHARDON D. Ch.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7105