La bilirubine ouvre une voie dans les maladies liées au stress oxydatif

Publié le 25/11/2002
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L'un des paradoxes de la biologie s'exprime dans le rôle de l'oxygène (il donne la vie mais il est aussi source d'un stress oxydatif) tout comme dans celui de la bilirubine, considérée antérieurement comme un déchet métabolique toxique, et dont l'image a évolué vers une notion de protecteur des dégâts cellulaires.
Pour comprendre cela, il faut se rappeler que la bilirubine est un pigment abondant dans le courant sanguin, qui est responsable de l'ictère dans des situations pathologiques. C'est un produit final de la dégradation de l'hème. La dernière étape du catabolisme fait intervenir l'enzyme bilirubine réductase qui réduit la biliverdine pour donner la bilirubine. La bilirubine étant toxique et insoluble, elle doit être glycuroconjuguée avant d'être excrétée dans la bile. Un excès de bilirubine peut être à l'origine de l'ictère nucléaire, associé à des dommages cérébraux majeurs.
Comme la biliverdine est hydrosoluble et facilement excrétée, on peut se demander pourquoi les mammifères ont évolué pour acquérir une capacité à réduire la biliverdine en bilirubine, processus consommateur d'énergie, potentiellement toxique et apparemment superflu.
David Baranano et coll. (Johns Hopkins, Baltimore) répondent que « la bilirubine est un cytoprotecteur antioxydant physiologique majeur » en démontrant que la bilirubine peut protéger la cellule des dommages normalement associée à un stress oxydatif correspondant à un excès d'H2O2 supérieur de 10 000 fois au maximum tolérable.
En produisant une déplétion significative du contenu en bilirubine de cellules en culture par ARN interférent, on augmente de manière importante le taux tissulaire des espèces réactives d'oxygène et on obtient en conséquence une mort cellulaire par apoptose.

Une action ambivalente

Comment concilier cet effet avec la toxicité observée in vivo et prouvée in vitro ?« La bilirubine peut être la cause indirecte d'une mort neuronale qui suit l'hémorragie sous-arachnoïdienne : les produits de l'oxydation de la bilirubine, qui entrent dans l'espace sous-arachnoïdien lors d'une rupture d'anévrysme, causent un vasospasme cérébral, ce qui est à l'origine d'une morbidité par ischémie cérébrale ou infarctus (Stocker, 1987). » Et, in vitro, la bilirubine cause la mort de cultures de neurones et de cellules endothéliales des microvaisseaux cérébraux.
Comment cette action ambivalente peut-elle être interprétée ?
Baranano et coll. concilient les faibles concentrations cellulaires de bilirubine avec les fortes concentrations d'oxydants contre lesquels il est protecteur en déterminant l'existence d'un processus d'amplification par un cycle redox. La biliverdine est réduite en bilirubine par action de la biliverdine réductase. L'interaction de la bilirubine avec les radicaux oxygène produit son oxydation, régénérant la biliverdine. Et le cycle est répété, multipliant l'effet antioxydant de la bilirubine.
Il avait déjà été rapporté (par Stocker et coll.) que « la bilirubine peut piéger des radicaux libres et protéger contre plusieurs processus pathologiques : l'anaphylaxie médiée par le complément, l'ischémie myocardique, la fibrose pulmonaire et la néphrotoxicité à la cyclosporine ».

«Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.252626999

La pertinence clinique

Comme l'indiquent les auteurs, la notion d'un effet cytoprotecteur de la bilirubine contre le stress oxydatif n'est pas uniquement d'intérêt physiopathologique, mais elle a une pertinence clinique. Plusieurs faits tendent à le prouver.
En cardiologie : un certain nombre d'études épidémiologiques trouvent une association inverse entre le taux de bilirubine et la maladie coronaire ou l'infarctus du myocarde. Et chez les patients souffrant d'un trouble génétique de la conjugaison de la bilirubine (maladie de Gilbert), la mortalité par cardiopathie ischémique est divisée par cinq.
En cancérologie : une étude rétrospective belge a montré que des taux de bilirubine sérique sont inversement liés à la mortalité par cancer.
En néonatalogie : les prématurés traités par oxygénothérapie ont moins de dommages rétiniens dus au stress oxydatif lorsqu'ils présentent des taux de bilirubine plus élevés.

Dr Béatrice VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7226