La bataille de Diane Pretty, cette quadragénaire britannique souffrant d'une maladie neuro-dégénérative incurable, aura peut-être influencé le vote des députés belges qui ont adopté, à 86 voix pour et 51 contre, un texte légalisant l'euthanasie déjà approuvé par le Sénat belge en octobre 2001. La médiatique Diane Pretty, qui est décédée au début du mois dans un établissement de soins palliatifs dans la banlieue londonienne, n'avait obtenu le droit à la mort assistée ni de la justice britannique, ni de la Cour européenne des droits de l'homme.
Cependant, après l'entrée en vigueur de la loi, d'ici environ trois mois, la pratique de l'euthanasie restera strictement encadrée en Belgique. L'euthanasie ne devra être pratiquée sur un patient que s'il se trouve dans une « situation médicale sans issue et fait état d'une souffrance physique ou psychique constante et inacceptable, qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable », précise le texte de la loi. Le praticien doit s'assurer que le patient est « majeur et conscient », que sa demande est « formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée » et qu'elle « ne résulte pas d'une pression extérieure ».
Un bon point
Parallèlement à ce texte, une loi a été adoptée sur les soins palliatifs, laquelle impose aux pouvoirs publics de « garantir le droit pour chaque patient » à bénéficier de ces soins. L'objectif est d'éviter que des personnes défavorisées, isolées ou fragiles ne soient tentées par l'issue de l'euthanasie pour des raisons économiques. Tout médecin répondant à une telle demande devra informer le malade de l'existence des soins palliatifs. Un bon point, selon le Dr Jean-Michel Lassaunière, responsable du centre de soins palliatifs de l'Hôtel-Dieu à Paris. « Sur la question de l'euthanasie, la Belgique a su provoquer, depuis trois ans, un débat d'excellente qualité, observe-t-il. Beaucoup de médecins de soins palliatifs ont été interrogés. Les aspects polémiques et idéologiques ont été dépassés. Ce qui n'est pas le cas en France », regrette-t-il. En France, on ne parle souvent d'euthanasie qu'à la rubrique des faits divers, comme le montre le dernier épisode en date, celui du CHU de Besançon (« le Quotidien » du 13 mai). Le personnel paramédical du service de réanimation chirurgicale avait alerté l'administration du CHU de la précipitation de certaines décisions d'arrêt de traitement. Pour le Dr Lassaunière, les soignants doivent continuer à refuser cette pratique clandestine que le Comité consultatif national d'éthique dénonçait d'ailleurs dans son avis du 27 janvier 2000.
Une loi sur l'euthanasie pourrait-elle venir à bout de ces pratiques parallèles, comme l'affirment les associations défendant le droit à mourir dans la dignité ? Rien n'est moins sûr, estime le Dr Lassaunière. « Il est plus facile d'abréger une vie que d'organiser un accompagnement de bonne qualité », dit-il en insistant sur la nécessité de rappeler encore et toujours l'existence des soins palliatifs. « Pas plus tard qu'hier, indique-t-il, j'ai reçu une patiente qui, après deux ans de souffrances, se disait enfin libérée de la douleur. Je pense que cette dame aurait pu demander l'euthanasie. Beaucoup de nos patients viennent nous consulter d'eux-mêmes. Ils me sont rarement adressés par des médecins. »
Légaliser l'euthanasie, c'est à la fois reconnaître le respect de la volonté individuelle, et prendre le risque, dans une société où les dépenses de santé sont en constante augmentation, d'induire que certains malades en fin de vie coûtent trop cher. C'est en tout cas ce que redoutent les évêques de Belgique : « L'enjeu de la loi est que la valeur et la dignité d'un être humain ne sont plus liées au fait de son existence mais à ce qu'on appelle sa "qualité de vie". Cela signifie donc que l'Etat belge est d'accord avec le fait que telle vie humaine a moins de valeur que d'autres », déclarent-ils dans un communiqué.
Les Pays-Bas ont été le premier pays du monde à se doter, le 1er avril dernier, d'une législation autorisant l'euthanasie qui vaut également pour les mineurs, contrairement à la loi belge.
Une lente maïeutique
En France, le ministre de la Santé du gouvernement Jospin, Bernard Kouchner, a présenté, dans un premier temps, son deuxième programme national de développement des soins palliatifs et proposé, dans un second temps, d'encadrer l'interruption de vie (« le Quotidien » du 18 avril). Une proposition trop précipitée et partisane, selon le Dr Lassaunière qui réclame la tenue d'un débat transparent et ouvert. La décision de légaliser ou non l'euthanasie « doit être le fruit d'une lente maïeutique, suggère-t-il. Les programmes de formation en soins palliatifs doivent être généralisés. L'erreur la plus fréquente est de confondre la démarche de soins palliatifs avec le fait que l'on s'occupe d'un malade en phase terminale d'un cancer par exemple. On ne peut pas se prévaloir du statut du malade pour prétendre que l'on fait des soins palliatifs. C'est l'engagement de toute une équipe pour un changement de pratique ». Rien ne laisse prévoir la position du Pr Jean-François Mattei qui s'était toutefois fortement engagé pour le développement des soins palliatifs, avant d'être nommé ministre de la Santé dans l'actuel gouvernement.
Quelles pratiques dans le monde ?
Selon le Comité consultatif national d'éthique, il existe un consensus absolu sur certains actes et attitudes, et notamment :
- la nécessité d'encourager le développement des soins palliatifs (par la formation médicale, la constitution d'unités de soins palliatifs, et la généralisation des méthodes des soins palliatifs dans tous les services médicaux ayant la charge de personnes gravement malades) ; la nécessité de traiter la douleur, même au risque d'abréger la vie ;
- l'implication de la famille dans l'accompagnement des malades ;
- l'acceptabilité, des points de vue médical et moral, de l'abstention ou l'interruption des traitements devenus inefficaces, à condition de tout mettre en uvre pour assurer le confort et le bien-être du malade (ce que certains appellent l'euthanasie passive).
Cela dit, le Danemark autorise le patient atteint d'une maladie incurable à décider lui-même de l'arrêt des traitements par le biais d'un « testament médical ». En Suède, l' « assistance au suicide » est un délit non punissable et le médecin peut, dans des cas extrêmes, débrancher les appareils respiratoires. En Grande-Bretagne, l'euthanasie est illégale mais la justice a autorisé des médecins à abréger la vie de malades maintenus en vie artificiellement. En Amérique latine comme en Chine, l'euthanasie est tolérée pour les patients au stade terminal d'une maladie incurable. Aux Etats-Unis, la loi fédérale interdit l'euthanasie. En Australie, une loi légalisant l'euthanasie, pour la première fois au monde, avait été votée en juillet 1996 par le Parlement des territoires du nord, mais elle a été abrogée au niveau fédéral quelques mois plus tard.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature