Ne nous méprenons pas. L’annonce faite à Claude Évin n’est pas remise en cause. Le PLFSS 2010 (article 32) propose bien le report de la convergence tarifaire intersectorielle des établissements de santé à 2018. Néanmoins, l’exposé des motifs de ce même article annonce que des « rapprochements tarifaires seront réalisés dès 2010 sur quelques dizaines de tarifs de groupes homogènes de séjours (GHS) pour une économie d’un montant de 150 millions d’euros. » À quoi doit-on cette concession ministérielle en direction du privé ? En grande partie à la campagne de communication orchestrée par la fédération de l’hospitalisation privée (FHP).
Trahison
Bien utilisés, les médias peuvent être un allié redoutable. La FHP l’a bien compris. Au printemps dernier, apprenant par la bande la fleur faite au secteur public, Philippe Burnel, délégué général de la FHP, s’étrangle de stupeur et décide de contre-attaquer, d’autant que le coup pendable de la ministre s’ajoute au rétropédalage de 2007. Dans la loi de 2004, la convergence était fixée à 2012 avec un palier intermédiaire de 50 % à atteindre en 2008. Cette mesure a disparu du PLFSS en 2007. Philippe Burnel raconte : « Si notre réaction a été aussi vive c’est bien que nous nous sommes sentis une nouvelle fois trahis ». Un plan médias est donc mis en œuvre. Une agence de communication – FD – est appelée à la rescousse. La FHP sort le grand jeu au début de l’été : achats d’emplacements dans la presse, affiches, spots radio. Le mot d’ordre est simple : il faut COMMUNIQUER sur le prix unique. Et surtout se faire entendre. « Jusqu’à maintenant, on ne nous écoutait pas », se plaint-on du côté de la rue Monceau, à Paris. Cet exercice d’un genre nouveau pour la FHP va porter ses fruits. Le sondage réalisé entre le 23 et le 30 septembre pour la FHP par la société Harris Interactive montre une adhésion de 67,6 % au principe de tarif unique. Les députés sur le terrain relèvent les copies et transmettent l’avis du public à nos gouvernants, jamais insensibles aux aspirations de leurs administrés à l’approche d’échéances électorales. La FHF joue sur du velours. En période de crise, le prix unique a le mérite de la clarté (en tout cas médiatico-politique), même si techniquement, personne n’y entend rien. « La question de la convergence est très complexe. Les non-initiés n’y comprennent pas grand-chose. Pour rendre politiquement attractif, nous avons simplifié le débat en interrogeant le public », admet le responsable de la fédération, pour l’heure fin communicant. Et puis, dans les ambiances feutrées de la République, tout le monde approuve depuis longtemps, au dire de représentants du privé, cette politique d’alignement tarifaire.
Discours de la méthode
Alors, pourquoi tant de tergiversations ministérielles ? « Le secteur public joue la montre », clame-t-on dans le privé. Le gouvernement, effrayé par la contestation des hospitaliers, tente de calmer le jeu. Mais pour Philippe Burnel, ce n’est pas la seule explication : « Nous avons le sentiment que l’État n’a pas vraiment pris la mesure de la convergence. C’est un dossier complexe qui nécessite que l’on réfléchisse sur la méthode pour y arriver. » Ce qui s’énonce bien se conçoit clairement. Et inversement. Dont acte : le 16 octobre, la FHP continuant à dérouler son plan médias dévoile les grands axes de son plan de convergence : « Pour gérer la convergence sur les frais de séjour tout en tenant compte du "surcoût historique" des hôpitaux publics, la FHP propose d’aligner dès 2011 les tarifs "frais de séjour" du secteur public sur ceux du privé et de créer dans le même temps une dotation spécifique compensant la perte de ressources des hôpitaux publics. »
Deux sous de campagne
Parce que la FHP a aussi parfaitement saisi que la répétition était une arme redoutable, une seconde vague de spot radio a été lancée le 26 octobre. 500 spots radio, pas moins, avec deux thématiques répondant aux arguments du public justifiant les écarts de tarifs : « Nous assumons un tiers des pathologies lourdes » et « deux millions d’urgences ». Simplistes ces messages ? « C’est une campagne vérité, se défend Lamine Gharbi, président du syndicat FHP-MCO. Une campagne simple qui ne coûte pas cher. » On se souvient de la réaction ulcérée de soixante professeurs du public qui, d’un même trait de plume rageur, vilipendaient l’opération de communication. Dans Le Monde du 14 octobre dernier, on pouvait lire : « Coûteuse, cette campagne est en dernière instance payée par les deniers de la collectivité, dans la mesure où c’est la Sécurité sociale qui finance les cliniques privées commerciales. Les citoyens ont le droit de connaître le montant de cette campagne (plusieurs centaines de milliers d’euros, dit-on), et de savoir si cette publicité concurrentielle respecte les règles du code de santé publique. » Interrogée, la FHP répond : « Comme toute fédération, nous vivons de l’argent des cotisations de nos adhérents. » Ces chers adhérents sont d’ailleurs priés de « remettre au pot » pour maintenir l’effort de guerre des prix. Mais on n’en saura pas plus. La communication a ses limites… Ils sont décidément très forts à la FHP. La bataille est juste, martèle le privé qui compte un allié de circonstance. La FHP se félicite des propositions de la Cnam sur l’harmonisation des tarifs hospitaliers public/privé.
Maintenir la pression
Donc, pas question de relâcher la pression. « Notre communication a permis d’alerter les pouvoirs publics qui avaient été trop loin pour ménager une partie de la communauté hospitalière. » Philippe Burnel enfonce le clou : « L’hôpital public bénéficie d’une rente de situation. Leur position est de dire : nous ne ferons rien en matière de convergence tant que la totalité des études n’aura pas été menée. Le problème est que ces études n’en finissent pas. Nous estimons qu’il ne faut pas attendre. » La réaction indignée du public sur les armes employées par la FHP ne serait donc que posture syndicale. En coulisses, on admet que tout cela n’est pas totalement infondé.
Lamine Gharbi, soucieux de maintenir de bonnes relations avec le public lance : « Ils connaissent les chiffres mais savent qu’ils doivent faire avec une lenteur administrative qui les empêche de faire mieux pour l’instant. Ils ont cependant déjà montré avec leur augmentation d’activité qu’ils étaient bons. » Mais il ne peut se retenir de tacler : « Avec la T2A, ils ont peut-être appris à facturer… Maintenant, ils cherchent à gagner du temps. » Certains parlementaires s’agaceraient également de ces atermoiements. Ils bénéficient d’ailleurs d’une communication ciblée. 300 d’entre eux sont destinataires d’une boîte de jeu contenant une chambre d’hôpital en modèle réduit accompagnée d’un livret de huit pages présentant son « scénario réaliste et progressif de convergence ».
Fatiguée d’être prise pour le perdreau de l’année, la FHP a décidé de ne pas lâcher un pouce de terrain. « Nous prenons acte des expérimentations annoncées, nous avons bien conscience que l’on ne pourra pas arriver à la convergence avant 2018. Mais que l’on ne nous refasse pas le coup du printemps dernier », prévient, en substance, Philippe Burnel. Si la guerre des prix est loin d’être gagnée pour la FHP, elle décroche un accessit catégorie « communication de crise ». Et l’idée de convergence n’a finalement jamais quitté son orbite. Le gouvernement l’a simplement ajustée à l’heure d’hiver.
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