LE TEMPS DE LA MEDECINE
Fruit d'un travail mené pendant un an par des experts scientifiques et des représentants des industries agro-alimentaires, le rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) consacré à la consommation excessive de sel et au développement de l'hypertension et des maladies cardiovasculaires, avait été salué par le ministre de la Santé de l'époque, Bernard Kouchner. En janvier 2002, se rangeant à ses recommandations, il avait « déclaré la guerre, non au sel, mais à des morts évitables et à des maladies dommageables liées à sa surconsommation ».
Pratiquement, explique le Pr Serge Hercberg (unité de surveillance et d'épidémiologie nutritionnelle de l'INSERM), ces « recommandations visent à réduire, sur une période cinq ans, de 20 % l'apport moyen de sel, soit de 4 % par an des divers apports, afin de faire passer la moyenne de consommation de la population française de 10 à 8 grammes par jour, en mettant en place une série d'actions et de mesures. »
Progressivité
La philosophie du plan se veut réaliste, avec une progressivité suffisante pour rester dans une ligne acceptable par le consommateur sur le plan organoleptique. Plutôt que d'adopter des réglementations coercitives, c'est une voie de responsabilisation et de concertation avec les partenaires qui a finalement été retenue.
Une démarche souvent très complexe : « Les différents rôles technologiques du sel (conservation, maturation, acidification, séchage...) doivent être pris en compte dans le cadre de la réduction de la teneur en chlorure de sodium des produits carnés et de sa substitution par d'autres sels (chlorure de potassium, lactate de potassium) », explique-t-on par exemple au Centre technique de la salaison, de la charcuterie et des conserves de viande (numéro « Nutrition » du « Quotidien » du 9 octobre) ; dans l'industrie du fromage aussi, le rôle du sel est indispensable dans les processus d'égouttage, de formation de la croûte, de sélection de la flore microbienne et l'affichage d'une teneur moyenne en chlorure de sodium n'est pas chose évidente.
L'OMS s'est saisie de la question. Elle a publié un rapport sur les expériences conduites en la matière par plusieurs pays. Pionnière, la Finlande avait émis des recommandations sur l'effet nocif d'une consommation excessive de sel dès 1972. Les industriels s'étaient alors accordés sur la base de l'utilisation d'un sel de substitution riche en potassium et leurs efforts avaient abouti à une diminution moyenne de 30 % de sel dans la population générale.
Au Royaume-Uni, le ministère de la Santé avait lancé un programme en 1999 qui entraînait l'année suivante des efforts notables de la part des professionnels : la chaîne de distribution AZDA faisait chuter le taux de sel dans des produits comme le pain, les saucisses, les pizzas, les céréales de petit déjeuner dans des proportions allant de 10 à 50 %. Pari, semble-t-il, gagné, puisque la Food Standard Agency (équivalent britannique de l'AFSSA) annonce que sur la période 1998-2001, la proportion de sel a diminué de 21 % dans le pain industriel.
C'est aux Etats-Unis que les avertissements auront été les plus nombreux : la Maison-Blanche organisait en 1969 une conférence sur la nutrition pour encourager les fabricants d'aliments préparés à minorer la quantité de sel ajouté. Depuis, une succession ininterrompue de recommandations, dont celles de l'Académie nationale des sciences et des ministères de l'Agriculture et de la Santé, se sont évertuées à préconiser de ne pas dépasser la dose journalière de 6 grammes . Des avis et exhortations qui se sont heurtés à l'indifférence des professionnels comme de l'opinion. Si le contenu en sel des aliments n'a pas varié au cours des trente dernières années, le mode de consommation a évolué, avec un engouement croissant pour les plats préparés qui entraîne l'augmentation globale de la consommation de sel.
L'évolution en France, pour les prochaines années, risque de suivre la même pente, les mêmes causes entraînant les mêmes effets.
La santé publique privée de sel
D'où la déception des spécialistes devant la suppression du programme de diminution de la consommation de sel parmi la centaine des priorités énumérées dans la loi de santé publique. « Un programme, souligne Pierre Meneton, qui figurait en bonne place dans l'avant-projet publié en mars dernier et qui a mystérieusement disparu de la version finale, en mai suivant. La reculade est vraiment regrettable », déplore le chercheur à l'INSERM, spécialiste de l'hypertension et expert à l'AFSSA. Il l'impute au lobby économique du sel. « Nous sommes en présence d'un important problème de santé publique à forte composante économique, rappelle-t-il. Dans un pays comme la France, une réduction de 30 % des apports en sel entraînerait un manque à gagner de l'ordre de 6 milliards d'euros pour l'industrie agroalimentaire. L'enjeu en termes industriels est donc comparable à celui qui oppose la santé publique aux manufacturiers de tabac et aux alcooliers. »
Somme toute, des mécanismes de pression*, avec le concours de spécialistes sous influence, agiraient, selon Pierre Meneton de la même manière qu'ils ont pu sévir dans le dossier de l'amiante ou qu'ils interviennent dans la lutte contre le tabac ou l'alcool.
L'AFSSA devrait quoi qu'il en soit être en mesure de publier ses premières évaluations sur l'évolution de la consommation de sel à la fin 2004. D'ici là, à la fin de l'année, les agences sanitaires alimentaires européennes vont se retrouver à Paris pour se concerter sur des plans d'action élaborés au format de l'Union.
* Selon l'hebdomadaire « le Point » du 6 janvier 2002, Pierre Meneton, à l'époque où il participait au rapport de l'AFSSA, aurait été placé sous surveillance téléphonique par les services de renseignements français pour atteinte à la sûreté de l'Etat, tous les téléphones de l'unité 357 de l'INSERM, où il travaille, étant alors placés sur écoute. Une affaire rocambolesque que l'intéressé juge « sans importance en regard des questions de santé publique qui sont en jeu ».
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