La bataille de Bordeaux fait rage

Alain Juppé est confiant ; Michèle Delaunay compte sur une forte participation (Afp)

NE LUI PARLEZ pas de la règle édictée par François Fillon, selon laquelle tout ministre perdant aux législatives doit rendre les clés de son ministère. Rien n'agace plus Alain Juppé que cette question, ritournelle horripilante des journalistes : «Et si vous perdez au second tour, que ferez-vous?»

«Mais, enfin, on veut me voir perdre, c'est ça?», s'irrite le numéro deux du gouvernement. «Il faudrait que je dise que je suis le plus vilain canard du gouvernement? Certains me disent en ballottage défavorable, mais regardez plutôt les résultats du premier tour: les choses se présentent bien, même si ce n'est pas gagné», confie le ministre de l'Ecologie au « Quotidien ».

Avec 43,73 % des suffrages exprimés en sa faveur dans la 2e circonscription de Gironde, Alain Juppé, il est vrai, a des raisons d'être confiant. Il devance d'une bonne tête sa concurrente socialiste Michèle Delaunay, qui a péniblement recueilli 31,36 % des voix. Pourtant, dimanche soir, le ministre d'Etat ne fanfaronnait pas sur les plateaux de télévision. Il a parlé d'un «spectaculaire retournement de tendance», qui sonne plutôt comme un ouf de soulagement. Allusion faite au score inédit du PS le 6 mai dernier à Bordeaux, historiquement ancrée à droite : Ségolène Royal y a récolté 52,44 % des suffrages. Cinq mille voix de plus que Nicolas Sarkozy.

Ce virage à gauche, Michèle Delaunay espère que la ville le prendra à nouveau dimanche 17 juin. «Le scrutin est très serré, mais il reste ouvert, estime la candidate socialiste . Tout va dépendre des Bordelais: s'ils se mobilisent fortement, comme aux présidentielles, je peux gagner.»

Course aux voix.

Depuis lundi, les deux candidats sont repartis en campagne. Ils enchaînent réunions publiques et opérations tire-sonnette.

Une semaine d'entre-deux-tours, c'est court, et pas une voix n'est à perdre. D'autant que le précédent scrutin s'était joué dans un mouchoir de poche : en 2004, lors de l'élection partielle qui avait suivi la démission de l'ancien Premier ministre après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, Hugues Martin avait battu Michèle Delaunay de seulement 566 voix.

La bataille fait donc rage, avec des arguments rodés de part et d'autre. Alain Juppé, 61 ans, mise sur son bilan. Michèle Delaunay promet un autre son de cloche à l'Assemblée, et s'en prend à la dramatisation de la campagne de son rival. Qui lui rend le compliment : «Michèle Delaunay a fait une campagne très agressive, avec des attaques permanentes, estimant que ma candidature est illégitime», déplore Alain Juppé. Pour creuser l'écart, le Dr Delaunay compte sur sa casquette de praticien – cette femme de 60 ans dirige le service de cancérologie cutanée du CHU bordelais. «Faire campagne en tant que médecin, dit-elle, c'est un avantage. Les gens savent qu'on sait écouter. » Alain Juppé, féroce : «Un député n'est pas là pour soigner.»

Le « Quotidien » a sondé quelques médecins girondins pour cerner leur position. Dans leur grande majorité, ils soutiennent le candidat Juppé. Le Dr Nils Abel, généraliste à Libourne et élu UMP : «Le DrDelaunay, c'est une copine de fac, mais je ne souhaite pas qu'elle gagne. Juppé en quelques années a fait plus pour Bordeaux que Chaban-Delmas en 15ans. Il a su réveiller la belle endormie.»

Le Dr Joël Ohayon, cardiologue libéral bordelais : «Juppé doit gagner: il a une grande envergure, de bonnes idées. Pourtant, ses ordonnances m'ont fait descendre dans la rue en 1995. Mais la droite protégera la médecine spécialiste libérale mieux que la gauche.»

Le Dr Denis Sdrigotti, généraliste à Bordeaux : «Le DrDelaunay est réputée, mais en politique, peu importe que l'on soit médecin. Ce qui compte, c'est la connaissance des dossiers. Certes, elle est fille de préfet et conseillère générale. Mais Juppé est brillant et efficace. Je lui souhaite de gagner.»

Pour le Dr Ohayon, l'affaire est entendue : «Juppé va passer haut la main.»

Pas si simple, en fait. Tout dépendra du taux de participation – une mobilisation massive favorisera la gauche –, et du report des voix. Au premier tour, Juppé totalise 4 500 bulletins d'avance sur Delaunay, mais son réservoir de voix n'est pas extensible. Les électeurs des Verts (2 471) devraient plutôt se reporter sur le PS. Et les 3 000 électeurs centristes du Mouvement démocrate (Modem) ? En position d'arbitres, les voici très courtisés. Contacté par Michèle Delaunay et Alain Juppé au lendemain du premier tour, le candidat Modem éliminé refuse le jeu des alliances, et ne donne aucune consigne de vote. «Les projets nous intéressent plus que les gens», se contente de préciser Ludovic Guinard. Mais Corinne Lepage, chef de file du parti Cap 21, s'est ouvertement prononcée sur les ondes avant-hier en faveur du candidat UMP. «Alain Juppé doit être élu» pour «continuer l'aventure en tant que ministre» du développement durable, a déclaré l'ancienne ministre.

Dans cette affaire, Alain Juppé joue sa place dans le gouvernement ainsi que son avenir en politique. Les soutiens nationaux abondent à Bordeaux, preuve que l'enjeu dépasse largement les frontières de la ville. A droite, Patrick Devedjian considère que Juppé devrait «être élu sans aucune difficulté». A gauche, c'est Ségolène Royal qui monte au créneau. Invitée du JT de France 2 lundi soir, elle a reproché à la chaîne de favoriser Alain Juppé dans sa couverture médiatique. La même Ségolène Royal a passé la journée d'hier aux côtés de Michèle Delaunay, à Bordeaux. La cancérologue s'en réjouit : «La droite règne sans partage sur Bordeaux depuis 60ans. Ma victoire serait tout un symbole.» Alain Juppé, lui, cultive la sérénité : «Je ne suis pas triomphaliste, mais raisonnablement confiant.»