E N 1998, lorsque le collectif s'est formé, il réunissait quatre organisations. Elles sont six* aujourd'hui et leur principale revendication reste la même : interdire les éthers de glycol toxiques, c'est-à-dire les éthers de la série E, et les remplacer par ceux de la série B. Réputées comme des solvants dangereux pour la santé, ces substances nocives sont encore utilisées dans les produits domestiques et industriels tels que les peintures, les encres, les vernis, les produits de nettoyage et les produits dégraissants.
Malgré la publication du décret du 1er février dernier, qui établit les règles particulières de prévention des risques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (« le Quotidien » du 5 mars), le collectif renouvelle son exigence d'interdiction. Car, selon ses représentants, certaines dispositions du texte « sont notoirement insuffisantes au regard des exigences de santé publique pour les populations exposées », en milieu professionnel notamment.
Or, « la connaissance du risque est assez bien établie », estime Etienne Caniard, responsable de la santé et de la sécurité sociale de la Mutualité française, qui dénonce toutefois le manque de recherches complémentaires. En 1982 déjà, un rapport publié par le Centre de toxicologie et d'écologie de l'industrie chimique européenne concluait à la présomption d'un effet chez l'homme. Parmi de nombreuses publications scientifiques, l'expertise collective de l'INSERM de 1999 (« le Quotidien » du 25 octobre 1999) a réaffirmé que les éthers de glycol toxiques présentent des risques pour la fonction reproductrice et l'hématopoïèse.
Le principe de précaution
C'est au cours de cette même année que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a interdit quatre éthers de glycol toxiques (EGME, EGMEA, EGEE, EGEEA) dans les médicaments et les cosmétiques. La Commission de la sécurité des consommateurs (CSC) est allée plus loin, l'année dernière, en demandant la substitution complète des dérivés de l'éthylène glycol (série E). Mais il ne s'agissait que d'un avis.
« On ne comprendrait pas que ces interdictions dans les cosmétiques, médicaments ou produits domestiques ne s'appliquent pas aux usages professionnels, qui sont par principe plus fréquents et plus intenses. Le principe de précaution ne doit pas s'arrêter à la porte des entreprises », relève le collectif.
L'avancée que constitue le décret du 1er février 2001 ne parvient pas à satisfaire les représentants du collectif. S'il réglemente l'utilisation des éthers de glycol toxiques, il ne les interdit pas strictement. Il fait obligation aux employeurs des travailleurs exposés de leur substituer un agent moins dangereux dès lors que celui-ci existe. Cette mesure réglementaire n'équivaut donc qu'à une restriction d'usage.
Le décret prévoit, en revanche, l'interdiction totale d'employer des femmes enceintes ou allaitantes à tout poste de travail les exposant à ces agents toxiques. « Le retrait de l'exposition des femmes enceintes n'est pas suffisant, juge le secrétaire confédéral de la CGT, Serge Dufour. Le produit toxique est actif sur l'embryon dès la conception. On ne protège pas le futur nouveau-né. Par ailleurs, ajoute-t-il, l'action de ces substances agit tout aussi bien sur les ovocytes que sur les spermatozoïdes. Leur nocivité vaut tant pour la femme que pour l'homme. »
En outre, le texte gouvernemental prévoit un meilleur suivi des salariés, en imposant la constitution obligatoire d'un dossier d'exposition pour chaque travailleur confronté à ces agents toxiques. Tenus par les médecins du travail, ces dossiers comprennent chacun une fiche d'aptitude qui atteste que le salarié ne présente pas de contre-indication médicale aux travaux visés. Cette obligation avait été vigoureusement dénoncée par le Syndicat national professionnel des médecins du travail (SNPMT). « Nous soutenons la démarche des médecins du travail qui revendiquent leur indépendance », explique Serge Dufour. Le fait « d'établir un certificat de non-contre-indication à l'exposition à ces substances est contraire à leur vocation, qui est d'éviter les risques pour les salariés ».
Appel à témoignages
Enfin, le dernier objectif du collectif est d'obtenir une reconnaissance au titre des maladies professionnelles et une réparation pour les victimes. Faisant référence au problème de l'amiante, les représentants du collectif déplorent globalement le « déficit d'approche de santé publique en France » et reprochent, d'une part, l'inertie, voire la cécité, des pouvoirs publics et, d'autre part, l'irresponsabilité des employeurs.
Le collectif rend compte des résultats d'un appel à témoignages (spontanés et volontaires) lancé en août dernier auprès des salariés et des sous-traitants de l'usine d'IBM de Corbeil-Essonnes qui reconnaît que des éthers de glycol toxiques (EGME, EGMEA, EGEE, EGEEA et DEGDME) ont été utilisés de 1974 à la fin de 1994. L'enquête fait apparaître 10 cas de malformations ou d'atteintes du développement neurologique d'enfants dont les parents ont été exposés. De plus, en comparaison avec la moyenne nationale, sur la période 1974-1994 et pour une population estimée à 1 000 personnes, il a été constaté 17 fois plus de cancers des testicules (11 cas) et 7 fois plus de leucémies (5 cas). Ces cas de malformations et ces taux de cancers anormaux avaient été aussi observés dans l'usine américaine d'IBM de Fishkill, dans l'Etat de New York. Le collectif demande en conséquence qu'une enquête internationale soit lancée sous l'égide du Centre international de recherche contre le cancer dans l'industrie des composants électroniques. Parallèlement, et en l'absence d'une étude épidémiologique, les six organisations lancent un appel national à témoignages « afin de conduire les pouvoirs publics à mettre en uvre les moyens nécessaires pour informer et repérer les victimes, mais aussi à reconnaître qu'il s'agit de maladies professionnelles ouvrant droit à réparation ». Deux femmes exposées pendant leur grossesse saisissent actuellement la justice contre leurs employeurs pour obtenir réparation du préjudice subi par leurs enfants, victimes de lésions irréversibles. L'une a été exposée aux éthers de glycol et l'autre à un cocktail de solvants.
* La Mutualité française, la CFDT (Fédération chimie énergie), la CGT, la Fédération des mutuelles de France (FMF), la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), la Ligue nationale contre le cancer, le Syndicat national professionnel des médecins du travail (SNPMT).
Deux études épidémiologiques vont être lancées
Soucieuse de répondre rapidement aux inquiétudes exprimées par le collectif, Elisabeth Guigou a annoncé dans un communiqué le lancement, « très prochainement », de deux études épidémiologiques. Elles auront pour objet d'évaluer, chez les personnes exposées aux éthers de glycol toxiques, « le risque d'anomalie du développement intra-utérin chez les femmes pendant leur grossesse » et « de mesurer les conséquences sur la fertilité masculine ».
En outre, pour « accélérer la substitution (d'autres produits aux éthers de glycol toxiques) imposée aux employeurs » par le décret de février, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité annonce la tenu prochaine d'un forum avec des « experts scientifiques, des médecins préventeurs et des industriels » , afin « d'échanger des vues sur les problèmes techniques et sur les solutions permettant de faciliter la substitution, spécialement dans les PME ».
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