La santé en librairie
Du dermatologue au coiffeur en passant par le chimiste, l'industriel ou l'esthéticienne, près de 35 millions de personnes (dont 12 millions de coiffeurs) ont aujourd'hui une profession en rapport avec le poil. « Dans la majorité des pays, il existe plus de coiffeurs que de boulangeries, et plus de centres de traitement du poil que de cordonneries », s'amuse Martin Monestier dans « les Poils, histoires et bizarreries ».
Puisque « l'observation des poils offre dans la plupart des cas une image précise des individus (...), de leur propreté, de leur hygiène, de leur imaginaire, de leurs préoccupations, de leurs frustrations, de leurs complexes, de leur humeur, de leur état de santé, de leur niveau de distinction, d'éducation, de leur attitude vis-à-vis du sport, de l'art, de l'amour et de la sexualité », l'auteur propose un voyage passionnant au pays du pelage humain. Tout y passe : quelques éléments de physiologie élémentaire du poil d'abord, avant d'aborder les métiers du poil à travers l'histoire (du perruquier au coiffeur d'aujourd'hui), la fuite des poils volontaire (les rasés, les tondus, les épilés) ou subie (les chauves, alopéciques et autres glabres), la pléthore de poils (des dieux barbus à la femme à barbe en passant par l'industrie des perruques, des postiches et autres moumoutes ou le championnat international des barbus et chevelus), le fétichisme des poils, leur fonction érotique, sans oublier le poil comme auxiliaire du policier et de l'historien.
Poils de veuves
Au pays des vibrisses (poils à l'intérieur des narines), taroupes (poils entre les sourcils) et autres toupets, l'auteur a mené une enquête à la fois scientifique, historique, anecdotique et iconographique d'une diversité inouïe. Si l'on a tous entendu parler des femmes à barbe, on connaît moins bien les femmes-gorilles, Lionel l'homme-lion, la femme aux poils pubiens longs d'un mètre ou les enfants-singes identifiés un temps comme le « chaînon manquant ». M. Monestier rappelle, photos à l'appui, l'exhibition scandaleuse de ces pauvres « hypertrichosés » dans les foires jusqu'au milieu du XXe siècle. Dans un registre plus amusant mais non moins surprenant, le catalogue des fétichismes et des psychopathies liés aux poils n'a rien à envier à celui des collectionneurs. Suiveurs, palpeurs, coupeurs sont des accumulateurs passionnés mais leur pratique dépend du fantasme et de la pulsion sexuelle propres à chacun d'eux. Leur passion est sexuelle et généralement douloureuse contrairement à celle des collectionneurs. Et que penser de cette Odile Lefur qui fabrique des gilets en cheveux humains (qu'elle recommande pour leur solidité) ou de ce sexagénaire parisien qui possède la plus belle collection au monde de « poils de veuves » ?
Le livre propose même un petit florilège des citations concernant le poil. Par exemple, celle-ci, de Pierre Desproges qui, paraît-il, détestait les coiffeurs : « On reconnaît le rouquin aux cheveux du père et le requin aux dents de la mère. »
La mémoire religieuse
Si la peau se cache sous les poils, l'âme, elle, est à fleur de peau, dit le Pr Gérard Guillet, dermatologue (« l'Ame à fleur de peau, rites, croyances et signes »). Porteuse d'une charge symbolique considérable et variable selon les cultures, les époques et les générations, qu'elle soit voilée ou exposée, peinte ou tatouée, percée ou décorée, poilue ou glabre, la peau véhicule, « telle une empreinte indélébile, une certaine mémoire religieuse ».
Interface entre l'homme et son ou ses supposés créateurs, la peau a toujours été un lieu d'échange, qu'il s'agisse des rites de l'onction, de l'imposition sacrée, des cicatrices rituelles ou des tatouages pratiqués par les religions monothéistes ou par les religions paganistes et animistes.
« Chaque religion imagine ainsi d'infliger à la peau toutes sortes de sévices qui sont autant de sacrifices », des lésions involontaires comme la zabiba, callosité du front liée à la friction répétée lors de la prière chez les musulmans fervents, aux mikoshi kobu, tumeurs apparaissant sur les épaules des dévots japonais qui portent la châsse sacrée pour honorer leurs dieux, en passant par les scarifications volontaires et initiatiques des Bwabas ou des Bambaras africains, Le Pr Guillet analyse, textes sacrés et iconographie à l'appui, le regard religieux sur les maladies de peau et leur guérison à travers l'histoire, les liens entre l'apparence de la peau et la symbolique religieuse, entre peau et reliques (des momies au Saint-Suaire). Un chapitre entier est consacré aux phénomènes surnaturels d'expression cutanée et aux stigmatisés avec une analyse à la fois médicale (celle du dermatologue) et symbolique.
« La peau est une messagère qui parle de vie, de mort, de pureté et d'amour dans un dialogue que l'homme cherche à nouer avec Dieu. »G. Guillet en est persuadé et tente de nous en convaincre : la peau est la résidence indéniable de l'âme.
« Les Poils, histoires et bizarreries. Cheveux, toisons, coiffeurs, moustaches, barbes, chauves, rasés, albinos, hirsutes, velus et autres poilants trichosés », Martin Monestier, Le Cherche-Midi, 360 pages, 30 euros.
« L'Ame à fleur de peau, rites, croyances et signes », Pr Gérard Guillet, Albin Michel, 144 pages, 37 euros.
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