Idées
Ce qui est frappant, dit-il, c'est qu'on est passé d'une banale xénophobie visant les gens d'origine maghrébine à une islamophobie, la religion servant de nouveau marqueur de haine. D'ailleurs, les médias désignent de plus en plus souvent les « beurs » à travers le vocable de « jeunes arabo-musulmans »*. On peut noter ici, dit-il, que l'affaire du voile (le « hijeb ») a pris en France une importance inconnue dans les autres pays européens, et à permis à certains de reprendre « tous les clichés orientalistes sur l'asservissement de la femme musulmane ».
D'une manière générale, note l'auteur, depuis plus de deux ans, bien avant les attentats du 11 septembre, les attaques contre les lieux de culte musulman se sont multipliés, tout comme les sites racistes et les faits créant un climat de défiance généralisée : ainsi de ce bagagiste de Roissy accusé d'appartenance à un réseau terroriste et blanchi depuis. De fait, dans ce dernier cas, il s'agissait moins d'islamophobie que d'une machination familiale, ce qui est assez différent...
Le rôle des médias
Dans cette imagerie négative, dit Vincent Geisser, les médias ont joué un rôle déterminant. La manière dont le « fait musulman » est mis en scène en accentue toujours à la fois l'altérité et le caractère effrayant. Voyez ces foules à la télévision : « Des fidèles en prière vus de dos, fesses en l'air, des rassemblements compacts menaçants et hurlants ; des femmes voilées ; un individu barbu illuminé, bouche ouverte et yeux écarquillés... » Le stéréotype est donné, et la presse semble y adhérer sans aucune distance critique, le tenant par là-même pour vrai.
Dans cette mise en perspective de l'Islam par les médias, l'auteur fait ressortir deux caractères fondamentaux. D'abord, il est présenté essentiellement comme un « péril », soit à travers l'image du terrorisme, soit plus banalement sous les traits d'un gouvernement de mollahs sourcilleux dont l'image reste celle de la révolution iranienne de 1979. Plus perfidement, ce fantasme sert à creuser la distinction entre Islam dur et Islam modéré, ce dernier étant bien sûr minoritaire**.
Si on délaisse la mise en scène médiatique, on trouve malheureusement aussi beaucoup de chercheurs, intellectuels et ex-nouveaux philosophes pour potentialiser des clichés qui hier étaient cantonnés à l'extrême droite.
Un chapitre entier est consacré à la « nouvelle judéophobie », celle qui selon Pierre-André Taguieff, Shmuel Trigano ou Alain Finkielkraut résulterait de la transposition en France du conflit israélo-palestinien par les fameux « jeunes de banlieue ». Un sujet particulièrement intéressant puisqu'il met face à face deux communautés traditionnellement victimes du racisme et des stéréotypes.
Vincent Geisser commence par dire que tout ceci repose sur des théories assez fumeuses et, en chercheur avisé, réclame des faits antisémites avérés : « Les victimes juives d'actes racistes sont quasiment absentes de leurs propos... » (p. 84). Est-ce à dire qu'elles n'existent pas ? Que faire par exemple de tous les professeurs qui ne peuvent plus enseigner la Shoah dans certains établissements de banlieue sans être injuriés et qui l'ont clairement raconté dans la presse ? Doit-on, par quelque « néo-négationnisme soft » douter des élèves juifs dont les autocars sont caillassés ?
Il est curieux de voir Vincent Geisser chercher à établir qu'il y a une vision conservatrice immanente aux thèses d'un groupe de penseurs, sans se demander d'abord si, oui ou non, les agressions antisémites sont avérées. L'idée centrale du livre est que l'image de l'Islam est le résultat d'une construction imaginaire, fantasmatique, fortement catalysée par des thèses comme celle de S. Huntington sur « le choc des civilisations », permettant d'accréditer l'idée d'un Occident menacé d'orientalisation à l'intérieur, percuté par le terrorisme à l'extérieur.
On peut, à ce sujet, s'étonner que l'auteur attende l'avant-dernière page pour parler des attentats new-yorkais, qui eux ne relèvent pas du pur fantasme, et, de fait, peut-être vaudrait-il mieux parler d' « islamistophobie » : il s'agit heureusement moins de haine à l'égard des musulmans que de l'appréhension des excès de l'Islam puisque c'est par son paroxysme qu'un fait social prend tout son sens : « Dans l'abus, découvrez la règle », disait Roland Barthes. On eut aimé que Vincent Geisser disserte plus sur l'excision, la lapidation, le sort de la femme en terre d'Islam, le durcissement intégriste du Pakistan ou le retour des talibans en Afghanistan.
Autant de faits, nullement imaginaires, mais générateurs d'inquiétude.
Ed. La Découverte, 120 pages, 6,40 euros..
* On pourrait opposer ici à l'auteur que l'expression la plus fréquente est « jeune de banlieue », qui marque en démarquant, par une bien-pensante prétérition.
** On peut d'ailleurs s'interroger à ce sujet plus que ne le fait l'auteur sur l'UOIF (Union des organisations islamiques de France) qu'il présente, à cause de « la francisation de ses cadres et de ses membres » comme modérée, et qui vient de l'emporter aux élections du Conseil du culte musulman. N'était-ce pas eux qui ont violemment hué Nicolas Sarkozy qui proposait une photo d'identité sans foulard islamique ?
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