Aux Etats-Unis, il n'y pas d'Etat à proprement parler parce que, en réalité, il y en a cinquante. On ne parle pas du gouvernement mais de l'« administration ». On ne dit pas le président de la République, mais le président tout court.
Pourtant, il existe bel et bien une république américaine, un gouvernement fédéral et un Etat. Mais les institutions ont une origine très précise ; elles découlent de l'union d'un certain nombre d'Etats nés de la « révolution américaine » contre la Grande-Bretagne.
Au sein de la fédération, chaque Etat garde beaucoup de prérogatives essentielles (par exemple, la peine de mort ou non) et se méfie comme de la peste du pouvoir central incarné par les institutions fédérales de Washington. C'est ce qui explique les nuances de vocabulaire entre l'Europe et les Etats-Unis.
Toujours présent
Beaucoup de journaux français, à l'occasion de la crise provoquée par les attentats du 11 septembre, croient pouvoir dire que les Etats-Unis redécouvrent l'Etat. En réalité, ils ne l'ont jamais oublié et il a toujours été très présent dans le fonctionnement de la société américaine. En effet, il existe un énorme budget fédéral représentant environ un cinquième du PNB qui sert à la redistribution de la richesse nationale ; il existe aussi une retraite de base pour tous les Américains, qu'ils appellent Social Security, et une assurance-maladie fédérale pour les 65 ans et plus. La monnaie, la Défense, les programmes sociaux et d'autres institutions sont gérés par le gouvernement fédéral, qui est donc l'Etat au-dessus des cinquante Etats.
En conséquence, les Américains ne redécouvrent rien de nouveau ; ils ont toujours eu un Etat, une nation et une république. Le seul phénomène qui mérite d'être signalé, c'est que la très forte décentralisation de la vie politique, sociale et économique n'empêche pas les Américains de se retrouver unis, comme on a pu le voir après le 11 septembre, et comme cela se produit pour n'importe quelle guerre. Non seulement ils sont unis, mais ils disposent d'institutions centrales très solides qui permettent à leur énergie d'être canalisée. Le président est aussi le chef des Armées et, à ce titre, il peut se servir de toutes les armes dont il dispose. En cas de crise, il peut réunir le Congrès et lui demander des fonds qui lui auraient été chichement comptés en temps normal.
Il est vrai que George W. Bush est intervenu directement dans la crise des compagnies aériennes en leur accordant un pactole indigne de l'économie de marché. Mais le déplacement dans le vaste territoire américain fait partie intégrante de l'économie américaine et abandonner à leur sort les transporteurs aériens n'aurait fait qu'aggraver la récession ; de la même manière, des fonds ont été alloués par le Congrès à la ville de New York, particulièrement meurtrie par les attentats.
En l'occurrence, la gravité de la situation et l'urgence des mesures à prendre expliquent la réaction rapide de « l'Etat » américain ; mais le même Etat, par le biais de la Banque fédérale des réserves ou banque centrale (Fed) n'a jamais hésité, même s'il s'agit d'un organisme indépendant, à intervenir dans l'évolution de l'économie. Pour éviter une chute catastrophique des cours, la Fed a baissé les taux d'intérêt et a injecté dans les circuits des fonds dont le montant est tenu secret mais qui ont certainement été considérables.
Par conséquent, croire que l'Etat américain serait inexistant ou inerte est absurde. Il a seulement moins de pouvoirs que l'Etat français, grâce à une décentralisation historique, les Etats-Unis étant formés à l'origine par une agglomération d'Etats et non divisés en Etats. Il s'interdit en outre d'exercer des métiers qui ne sont pas les siens ; il ne lui appartient pas de construire des automobiles ou des avions, de gérer des banques ou les transports publics, toutes activités que l'Etat français a longtemps accomplies, mais dont il finira par se débarrasser. Et la grande différence entre la France et les Etats-Unis, c'est que la première s'occupe de l'éducation et des systèmes sociaux ou de soins, ce qui ne se fait pas en Amérique. Et là, le débat est ouvert : les Américains eux-mêmes doutent de l'efficacité de leur éducation et encore plus de leur système de santé.
Il y a eu une longue période, après la Seconde Guerre mondiale, où certains observateurs trouvaient des ressemblances profondes entre le système soviétique et le regroupement des industries aux Etats-Unis.
Loi antitrust
Finalement, disaient-ils, il y aura un jour où n'existeront, aux Etats-Unis, qu'une seule industrie de l'acier, une seule compagnie aérienne, une seule compagnie de chemin de fer, etc., et alors quelle différence y aura-t-il entre une concentration aux mains du privé et une concentration aux mains du public ? Idée intéressante, mais également peu fondée dans la mesure où la loi antitrust a fait éclater le cartel pétrolier et le cartel téléphonique, et failli tailler Microsoft en morceaux. C'est assez dire que l'Etat est non seulement présent mais qu'il peut être aussi très désagréable pour les plus grosses sociétés. Il ne faut pas oublier en effet que le « small business » innerve tout le tissu social américain, qu'il est protégé et qu'il existe une aide aux petites et moyennes entreprises alimentée par des fonds budgétaires et gérée... par l'Etat.
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