« JE N’AI jamais simplement "fait des photos". Je m’exprime par la photographie », disait Kertész. Il est frappant en effet de voir comme l’artiste a vécu son art pleinement, comme il y a mis à la fois son âme, son œil, sa vie personnelle et intérieure, en « interprétant ce [qu’il] ressen[tait] et non pas ce qu’[il voyait] », pour reprendre encore ses propos. Pourtant, le photographe n’a pas eu de son vivant la reconnaissance qu’il méritait. Sa démarche avant-gardiste, ses audaces, sa liberté, n’ont pas suscité l’admiration ou l’intérêt.
Dès les premières années de sa vie, en Hongrie, Kertész, loin du pictorialisme triomphant de l’époque et de ses « beaux effets », promène son objectif autour de sa campagne familière. Amis, soldats pendant la guerre, villages, paysages : les images sont celles de l’intime, du recueillement. Déjà, Kertész crée une « photographie pensive », comme disait Roland Barthes à son sujet. La sensibilité et l’affect inondent le moindre tirage. Mais l’audace est là également, et la fibre artistique et créatrice, l’affranchissement de toute contrainte. Kertész photographie la nuit, sous l’eau, des gens de dos. Il joue avec des déformations optiques, des flous, des contre-jours.
Distorsions.
C’est tout naturellement à Paris que le mènent ses pas dans les années 1920. C’est là qu’il développe son style moderniste, en inaugurant d’abord un type de portraits virtuels et décalés (les Satiric Dancers), puis en déformant la réalité par des métaphores, des jeux d’inversions, de lumières incongrues, de reflets… A Paris, Kertész laisse libre cours à toutes ses hardiesses, étudie les contrastes, conçoit des autoportraits en ombres chinoises, recadre les visages, photographie des objets en plongée, imagine ses fameuses « Distorsions » (des déformations optiques)… La capitale est le terrain idéal pour le photographe, qui distille ça et là des touches de malice, des clins d’œil, une grâce et un charme uniques.
Kertész s’installe à New York dans les années 1960. Ses œuvres ne se vendent pas. Sa démarche se heurte à l’incompréhension. On reproche à ses photos de « trop parler ». Depuis son appartement qui domine Washington Square, il guette tout ce qui se passe alentour et s’adonne une fois encore à des prouesses ou fantaisies techniques. Dans ses photos, l’architecture des immeubles environnants se lit comme un tableau abstrait, les cheminées sont personnifiées, les nuages sont égarés… La mélancolie envahit peu à peu son œuvre, une impression de solitude et de tristesse aussi.
Nostalgie, sensibilité, mystère, grâce… Tel est le vocabulaire qui vient à l’esprit devant ces photos intuitives, d’une poésie remarquable. Kertész sait capter les mystères de l’âme. Ses photos sont comme un rêve. Un rêve éveillé.
Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, tél. 01.47.03.12.50. Tlj de 12 à 19 heures (mardi jusqu’à 21 heures, samedi et dimanche de 10 à 19 heures). Jusqu’au 6 février 2011. Catalogue, coédition Hazan/Jeu de paume, 360 p., 49 euros.
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