GUILLAUME APOLLINAIRE parlait de « l'obéissance à l'instinct » qui caractérisait à ses yeux l'art de Kandinsky. Il voyait juste. On pourrait également parler de « nécessité intérieure » chez le peintre, tant son geste semble être mu par une force qui nous domine. Dès les premières compositions qu'il réalise, l'artiste russe - après avoir peint quelques sujets figuratifs d'inspiration populaire, dans un style s'approchant du néo-impressionnisme - jette sur sa toile avec énergie et passion la couleur et la matière. Le pinceau est vif, l'exécution véloce, la facture mouvementée. Kandinsky imagine des paysages où l'on distingue ici des silhouettes, là une montagne ou des maisons.
Mais déjà, à la veille de la Première Guerre mondiale, alors que le peintre étudie à Munich, la simplification du sujet représenté et la fougue abstraite l'emportent dans son uvre. Peu à peu les formes se dissolvent, leurs contours perdent leur précision, se gomment, les premiers signes sont esquissés, les figures géométriques et les masses de couleurs explosives, réparties subtilement, apparaissent. Kandinsky peint de nombreuses toiles qu'il nomme « Improvisations ». Plus son pinceau s'éloigne de la figuration, plus il semble exalté et jubilatoire. Les couleurs chantent à l'unisson, jaunes solaires, bleus lagons, roses pivoines, verts, parmes, pourpres, ocres d'une richesse inouïe. Certaines toiles dansent un ballet électrique et frénétique, rempli d'allégresse. Kandinsky invente un langage spirituel et cosmique.
La spontanéité de son art et la liberté d'expression qu'il revendique s'accompagnent d'une réflexion - que le peintre poursuivit toute sa vie durant - sur des sujets aussi divers et riches que la matérialité de l'art, la fonction et la charge émotive des couleurs, la science dans les arts plastiques, la phénoménologie de la peinture.
Plus le temps avance et plus le style du peintre russe tend vers l'épure, vers la géométrisation. Invité en 1922 à enseigner au Bauhaus, Kandinsky peaufine encore un peu plus sa théorie sur l'interdépendance entre les couleurs primaires et les formes. Arrivé à Paris au début des années 1930, l'artiste continue de peindre, mais ses uvres sont plus réservées, plus délicates, plus douces. Les formes ne s'agitent plus dans l’exubérance. Elles sont plus étranges, souples et molles. Certaines ressemblent à des hiéroglyphes. Le peintre s’est assagi. Il mourra en 1944.
D’où vient la profonde émotion qu’inspire au visiteur l’uvre de cet artiste si singulier ? À l’évidence, de la force puissante qui a guidé sa création. Une force en action, une énergie physique et spirituelle à la fois, qu’il est si rare de trouver dans l’abstraction. À la couleur et à la forme Kandinsky a donné une âme.
Centre Pompidou, tél. 01.44.78.12.33. Tlj sauf mardi, de 11 heures à 21 heures (jeudi jusqu'à 23 heures). Jusqu'au 10 août. Catalogue, éd. Du Centre Pompidou, 360 p., 44,90 euros, et « Album », 60 p., 8 euros.
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