AU SERVICE DE REANIMATION du centre héliomarin de Berck-sur-Mer, « les équipes sont ravies par l’annonce des réquisitions du parquet, rapporte le Dr Chaussoy. Et, moi le premier, confie-t-il, je suis soulagé, car je vois enfin le bout du tunnel judiciaire. Après plus de deux ans d’une attente qui fut souvent insupportable, je vais enfin pouvoir tourner la page et commencer à me reconstruire».
C’est dans ce service que, le 26 septembre 2003, le praticien hospitalier, après avoir consulté son équipe, avait débranché le respirateur artificiel qui maintenait en vie Vincent Humbert. Le jeune homme de 22 ans, devenu tétraplégique et aveugle à la suite d’un accident de voiture, avait obtenu de sa mère qu’elle mette fin à ses souffrances par une administration de barbituriques, laquelle l’avait seulement plongé dans le coma. Pour ne pas le laisser «s’étouffer peu à peu» après l’arrêt du respirateur, le Dr Chaussoy avait finalement injecté du chlorure de potassium, affirmant que son devoir de médecin était d’ «aider (son) patient à mourir». Ce geste lui a valu d’être mis en examen pour « empoisonnement avec préméditation », un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité, cependant que la mère du jeune Vincent, Marie Humbert, faisait l’objet d’une information judiciaire pour « administration de substances toxiques commise avec préméditation et sur personne vulnérable ».
Pour l’un comme pour l’autre, le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Gérard Lesigne, a donc requis un non-lieu, soit l’abandon de toutes les poursuites. Le magistrat fonde sa décision sur «l’élément moral» de l’infraction et non pas sur «l’élément matériel et légal». Il y a, souligne-t-il, « des conditions qui n’étaient pas celles de la sérénité. On peut considérer qu’une contrainte s’est exercée dans cette affaire, même si les gestes effectués demeurent prohibés».
Réconciliation et mise en cohérence.
«C’est une réquisition d’humanité et d’apaisement, approuve le Dr Jean Leonetti, député UMP et auteur de la loi relative à la fin de vie et au droit des malades. Elle réconcilie et met en cohérence le code de la santé publique, le code de déontologie médicale et le code pénal, explique-t-il au ‘‘Quotidien’’, en jugeant non pas un acte homicide, mais l’acte d’un homme de bonne volonté qui a agi dans des circonstances exceptionnelles.»
Si le Dr Chaussoy a déclaré à l’Agence France Presse qu’il n’éprouvait aujourd’hui «aucun regret» concernant son geste, il précise au « Quotidien » qu’il «le referait en pareille situation, mais de façon différente: avec une seringue électrique et en utilisant d’autres produits que du chlorure de potassium».
Le recours à cette substance létale avait en effet suscité un vif débat parmi ses pairs, la Société de réanimation de langue française (Srlf) jugeant alors nécessaire de publier des recommandations pour en proscrire formellement l’administration. «A cet égard, commente le Dr Eric Maury, secrétaire général de la Srlf, les réquisitions de non-lieu vont probablement éviter les remous passionnés d’un procès où il aurait été bien difficile de préserver la sérénité de la justice.»
Tout le monde ne partage pas cette appréciation.
Marie Humbert, tout en se déclarant «super-heureuse pour M.Chaussoy», s’en prend à «l’hypocrisie de la justice», qui, selon elle, «ne veut absolument pas débattre du problème, alors que l’euthanasie est pratiquée par les médecins. Au départ, on a dit que j’avais fait une chose qui était hors la loi et que je devais être punie. Et maintenant, voilà qu’ils disent non-lieu, ils veulent se débarrasser de la chose».
«Certains, répond pour sa part le Pr Louis Puybasset, chef du service de réanimation neurologique du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, voudraient relancer dans les prétoires et dans les médias un sujet sur lequel la représentation nationale a tranché à l’unanimité (en adoptant la loi Leonetti, ndlr). Devant la demande acharnée d’un procès, d’aucuns pourraient se demander dans quelle mesure la mort de Vincent Humbert n’a pas été instrumentalisée par les défenseurs de l’euthanasie.»
Au centre héliomarin, un chef de service, qui choisit de s’exprimer sous le sceau de l’anonymat, regrette cependant qu’un tel procès ne puisse avoir lieu, qui «aurait permis de mettre en lumière les conditions exactes dans lesquelles les personnes mises en cause ont agi, moins isolément qu’on l’a dit. En l’absence de procès public, la chape de silence continuera de peser sur toute cette affaire, et nous resterons frustrés et ignorants de la vérité sur le mécanisme caché des événements».
Pour Vincent Lena, président de l’association Faut qu’on s’active, qui milite en faveur d’une loi Vincent Humbert pour permettre de donner une « aide active à mourir», ce réquisitoire est «à double tranchant: c’est une victoire, mais, en même temps, c’est le signe que la justice et le pouvoir ne sont pas prêts à aborder les choses au grand jour, donc, c’est en même temps une grande déception».
Toutes ces conjectures autour de l’épilogue judiciaire de l’affaire n’empêchent pas le Dr Chaussoy de savourer l’instant et la situation, après le temps des affres. «J’ai mis le champagne au frais, annonce-t-il, mais j’attends que soit rendue publique l’ordonnance de non-lieu de la juge d’instruction, Anne Morvant, avant de le déboucher. » Le réanimateur ne cache pas que, quoi qu’il arrive, il restera «marqué à vie» par cette affaire. A nouveau, il dénonce «ceux qui voudraient faire supporter aux seuls médecins le choix de mourir qui concerne tout individu. C’est une liberté qui appartient à Dieu ou à chacun, selon ses convictions personnelles, et c’est au citoyen d’en fixer l’exercice, non aux médecins. Tout le monde naturellement souhaite pouvoir mourir dans la dignité. Notre rôle, à nous médecins, très humblement, c’est de respecter cette ultime dignité en nous abstenant d’un acharnement thérapeutique qui serait déraisonnable».
Pour sa part, le réanimateur du centre héliomarin ne regrettera donc pas l’absence d’un procès, convaincu qu’il est qu’ «un palais de justice n’est pas le cadre le plus approprié pourun débat sur la fin de vie».
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