LE TEMPS DE LA MEDECINE
UNE VINGTAINE DE MEDECINS ont postulé l'an dernier pour le nouveau poste d'« assistant spécialisé » au sein du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris. Une fonction sensible, puisqu'il s'agit d'assurer en quelque sorte l'interface entre le monde de la justice et celui de la médecine dans quantité d'affaires souvent très médiatiques : de l'hormone de croissance contaminée à l'amiante, de l'hépatite B à la guerre du Golfe ou du sang aux infections nosocomiales. Autant de dossiers pour lesquels les trois magistrats qui opèrent le monde médical au sein de l'instance pénale spécialisée ont besoin de l'assistance d'un professionnel de santé : il est leur conseiller technique pour cibler les expertises, démêler les rapports et arbitrer les confrontations. Bref, comme dit avec son habituel franc-parler le Dr Brigitte Maigret, l'heureuse élue pour le poste : « On est là pour empêcher les médecins de raconter des salades aux juges. »
Pourquoi le choix des magistrats s'est-il porté sur ce médecin atypique ? « Sans doute, répond-elle, parce qu'ils étaient à la recherche d'un clinicien à l'expérience diversifiée. » De ce point de vue, le Dr Maigret ne craint pas la concurrence : titulaire d'une maîtrise de biologie et d'un CES d'anesthésie-réanimation, elle a été, tour à tour, et parfois en simultané, neurologue, interne en chirurgie pédiatrique, réanimatrice au Gabon, « cow-boy de SAMU » chez le Pr Huguenard, médecin des prisons à Fresnes, PH à Saint-Vincent-de-Paul, à Tenon et à Trousseau, médecin inspecteur de santé publique, médecin à l'Igass (Inspection générale de l'action sanitaire et sociale), humanitaire avec Douleurs sans Frontières... « J'aime bien changer de vie », commente-t-elle. Ce profil, agrémenté par un caractère opiniâtre, pour ne pas dire rebelle, a donc plu aux juges.
Pour protéger les patients.
En six mois d'exercice de son nouveau métier, le Dr Maigret a eu à connaître d'une cinquantaine de dossiers, pour éclairer les trois juges avec lesquels elle travaille. Et le secret, évidemment, elle connaît, elle pratique. « J'ai d'abord connu le secret médical, raconte-t-elle. Dans toutes mes affectations médicales, j'ai pu me rendre compte à quel point il était primordial pour protéger les patients. Y compris après la mort. Je me souviens d'un confrère qui a été emporté par le sida dans les premiers temps de l'épidémie. On avait beau être entre professionnels de santé, j'entends encore les commentaires et les jugements qui sont tombés dans le service : "Un si gentil garçon, vraiment, on n'aurait jamais pu imaginer qu'il était comme ça et qu'un truc pareil lui arrive !" ... »
De ce point de vue, le Dr Maigret n'est pas convaincue que la loi de mars 2002 sur le droit des malades ait marqué une réelle avancée en termes de gestion du secret : « Maintenant, déplore-t-elle, à la mort des patients, des familles vont vivre des drames, parce qu'elles vont découvrir des accouchements sous X, des bouffées délirantes aiguës, des cures de désintoxication, toutes sortes d'épisodes enfouis dans la vie d'une personne et tout à coup répandus parmi les ayants droit. On aurait évité bien des problèmes en instituant le recours à un médecin tiers, qui aurait pu expliquer pas mal de choses aux familles. »
L'assistante spécialisée du pôle de santé ne voit pas moins de nécessité à respecter le secret côté justice que côté médical. « Y compris quand quelqu'un est déféré devant une juridiction et que des expertises vont être effectuées sur son compte, il faut garder le souci du secret, estime-t-elle. Naturellement, les rapports vont fouiller dans des données qui peuvent être très intimes. Mais ne croyez pas que les magistrats vont obligatoirement balancer ce genre d'informations. Le plus souvent, dans le cabinet du juge, on va mettre de côté tout ce qui n'est pas indispensable à la bonne marche de l'instruction. Et même quand l'affaire vient à l'audience, on évite autant que faire se peut les déballages intempestifs. Les prétoires ne sont pas faits pour des règlements de comptes à partir de données médicales. Et bien des choses resteront dans le dossier. » Voilà, assure le Dr Maigret, pour en finir avec l'idée d'une justice qui s'assiérait complaisamment sur la protection de la personne privée.
Reste la question de la médiatisation des dossiers qui défrayent la chronique. Tant d'affaires, en particulier dans les grands dossiers de santé publique, font l'objet d'une hypermédiatisation. Selon son intérêt, tel avocat ou tel magistrat n'hésitera pas à communiquer à la rédaction d'un journal un rapport qui lui semble abonder dans son sens. « Parfois, ces publications exerceront un rôle bénéfique, note le Dr Maigret. Par exemple, quelles que soient les arcanes procédurales, et même si l'affaire du sang n'a pas abouti sur le plan judiciaire, la publicité faite dans les médias a permis à l'opinion de juger de la responsabilité des différents acteurs. »
Dans d'autres cas, le secret est violé pour manipuler le public, ou les juridictions. « Mais alors, prévient le Dr Maigret, attention aux effets boomerang. A manipulateur, manipulateur et demi. C'est parfois du billard à trois bandes. Regardez par exemple François Mitterrand, qui avait pris l'engagement de tout dire sur sa santé tous les six mois. Et voyez ce qui s'est passé ! »
« On se trouve là en présence de problématiques exceptionnelles du secret. Quantité d'autres surviennent tous les jours, qui frappent des anonymes sans que personne s'en formalise : par exemple, quand tel salarié est contraint d'observer un arrêt de longue maladie, théoriquement l'employeur n'a pas à connaître de la raison de cet arrêt. Mais, dans la pratique, qui est dupe ? »
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