QUI AURAIT pu croire que le ministère de l'Environnement pouvait devenir la place de numéro 2 d'un gouvernement ? En nommant Alain Juppé à la tête d'un superministère qui regroupe Développement durable, Energie et Transports, Nicolas Sarkozy a voulu faire taire les plus suspicieux, ceux qui pensaient que l'environnement n'était qu'une couverture.
Les discours ayant élevé les consciences ( «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs», proférait Jacques Chirac en 2002), le gouvernement veut aujourd'hui passer à l'action avec un prestigieux maître d'oeuvre : Alain Juppé. «C'est un défi considérable et enthousiasmant qui m'inspire de la curiosité, de la détermination et de la confiance», a indiqué l'intéressé. Pour nombre d'experts et d'organisations non gouvernementales, à l'exception des militants antinucléaires qui se disent «sceptiques», la nomination d'Alain Juppé répond «au besoin de transversalité» de l'écologie.
L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac s'était attaqué de front, en 1995, au dossier de la réforme de la Sécurité sociale et des régimes spéciaux de retraite (et avait tenu «droit dans ses bottes» jusqu'à la dissolution de 1997). Il prend aujourd'hui sa revanche, à 61 ans. L'impopulaire «surdoué de la droite française» va s'atteler à l'une des aspirations les plus en vogue, l'avenir de la planète, en résumé. «A ce stade, je suis content que quelqu'un qui ait l'expérience, l'envergure d'Alain Juppé, prenne ce poste-là», a déclaré Nicolas Hulot dont le pacte écologique a été signé, jusqu'à maintenant, par près de 750 000 personnes, parmi lesquelles Nicolas Sarkozy, lors de la campagne présidentielle. «Il faut quelqu'un qui puisse se tourner vers Bercy, qui ait l'écoute du Premier ministre et du président…, quelqu'un à qui on ne la raconte pas. Après, il y a une question de volonté et de connaissance», a ajouté l'animateur vedette.
Ministre du Budget en 1986, ministre des Affaires étrangères de 1993 à 1995, et président de l'UMP (2002), Alain Juppé a été contraint de se retirer de la scène politique nationale en 2004 après sa condamnation à 14 mois de prison avec sursis et une année d'inéligibilité dans l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Un dossier qui lui a valu, la semaine dernière encore, d'être entendu comme simple témoin.
Bordeaux, une vitrine écologique.
Sa prise de conscience écologique, c'est lors de sa retraite canadienne qu'il l'a eue. A son retour, réélu maire de Bordeaux (en 2006, après l'avoir été de 1995 à 2004), il se fixe pour ambition de donner une dimension écologique à sa politique urbaine. «Au Canada, j'avais un 4x4. A Bordeaux, j'ai une voiture hybride», raconte le maire qui a mis en place une «charte urbaine et de développement durable» dont les objectifs stratégiques sont d'économiser l'énergie et de développer les énergies alternatives, de préserver la ressource en eau, de respecter les équilibres naturels et de diminuer la production des déchets à la source. Dans son livre « France, mon pays – Lettres d'un voyageur », publié en 2006, Alain Juppé prévient : «La cause environnementale n'est pas pour moi une lubie ou une mode.» A Bordeaux, il se fixe notamment pour objectif de réduire de 50 % d'ici à deux ans la consommation en eau de la ville (arrosage, nettoyage de la voirie, consommation des bâtiments) et d'en réduire de 10 à 15 % la consommation en énergie en 2007. Conseiller municipal Vert de Bordeaux et candidat aux législatives dans la circonscription d'Alain Juppé, Pierre Hurmic concède «un point de convergence sur le diagnostic» avec le maire. «Là où nous divergeons, c'est sur les méthodes. Il est marqué par le courant libéral productiviste. C'est un peu les limites de la conversion d'Alain Juppé. Je ne suis pas certain qu'il soit prêt à renoncer à son logiciel de pensée. On va faire quelques éoliennes, des bâtiments HQE (à haute qualité environnementale), mais c'est une écologie d'affichage, incantatoire et schizophrénique.»
Un « Grenelle de l'environnement » à l'automne.
Lors de sa prise de pouvoirs ministériels, Alain Juppé (qui entend rester maire et présenter de nouveau sa candidature aux municipales bordelaises de 2008) a expliqué que son ministère serait organisé autour de «quatre pôles opérationnels» : les transports et les déplacements, un pôle «habitat aménagement urbain et aménagement du territoire», comprenant l'écoconstruction, un pôle «politiques énergétiques» et un pôle «gestion des espaces naturels». Il a souligné la dimension internationale «très importante» de son ministère, en indiquant que «nous aurons à travailler sur les aspects fiscaux».
Selon Dominique Bussereau, nouveau secrétaire d'Etat chargé des Transports auprès d'Alain Juppé, «les transports sont au coeur de la stratégie de développement durable» du gouvernement. «J'ai déjà travaillé en tant que ministre de l'Agriculture sur le développement des biocarburants. Ce sera un des points importants» du nouveau ministère. Parmi les autres chantiers prioritaires, le ministre de l'Agriculture sortant a cité le «fret ferroviaire, le développement des transports publics, les énergies nouvelles et l'évolution du transport aérien».
Alain Juppé a déjà reçu, aux côtés du président Nicolas Sarkozy, associations d'environnement, responsables d'entreprises et personnalités scientifiques et intellectuelles. Il s'agit de dresser l'ordre du jour provisoire du «Grenelle» de l'environnement qui doit se tenir à l'automne, «en septembre ou en octobre». «Il ne s'agira pas d'une énième conférence sur l'environnement, mais d'arrêter un choix d'objectifs précis et d'actions concrètes à mettre en oeuvre», a souligné le numéro 2 du gouvernement. Et l'on espère que la santé environnementale ne sera pas oubliée dans ce vaste plan transversal.
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