ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
I L est, avec le douanier Rousseau, un des plus importants artistes de ces marges où l'on rassemble les naïfs, les incongrus, les illuminés, les inventeurs de leur propre monde. Un jardin des merveilles, un espace fantastique, un art sans frontières. Un vrai régal.
En épinglant « les peintures idiotes », Arthur Rimbaud a brusquement sorti de l'ombre cette production marginale, qui échappe à la fois aux lois de l'Histoire et à celles des modes pour exprimer des individualités qui trouvent dans la peinture l'exutoire à d'éprouvantes solitudes, des vies mornes, une échappatoire à la banalité du quotidien, même si, curieusement, c'est souvent ce dernier qui est la source de cette imagerie flamboyante, si personnelle et si loin des règles académiques.
Jules Lefranc est parmi les « grands » de cette tendance, aujourd'hui répertoriés. Il fut quincaillier avant de s'adonner exclusivement à la peinture et d'exposer dès 1938 : galerie Carrefour, salon des Surindépendants, puis, après la guerre, Salon Comparaisons et même Peintres témoins de leur temps, son uvre ayant, grâce à l'action décisive de quelques dénicheurs de talents comme Anatole Jakosky, connu un début de reconnaissance publique.
Fixé aux Sables d'Olonne, il a un voisin en devenir de gloire, Gaston Chaissac, avec lequel il partage une farouche indépendance, vis-à-vis des « courants » à la mode, et une force poétique s'appuyant sur une rigueur qu'Aragon a fort justement soulignée. « L'équerre, la règle, le papier calque, le compas, voilà les instruments premiers de sa technique », qu'il met au service d'une vision de la mer où règne « une lumière cartésienne ». C'est une vision au degré zéro, comme Chirico créant des instants de stupeur. Une peinture raffinée et dépouillée à l'extrême, allant à l'essentiel.
Musée de l'Abbaye Sainte Croix aux Sables d'Olonne, jusqu'au 17 juin.
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