La SOFCOT (Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique) a mis au programme de son congrès de novembre le thème de l'évolution de la responsabilité professionnelle et de son impact sur la pratique de la chirurgie.
Dès qu'une activité humaine inclut un risque, il faut intégrer l'assurance de ce risque dans son coût. S'il est légitime et salutaire d'offrir aux utilisateurs d'un service la possibilité d'exercer un recours, il importe de laisser s'établir, au sein du système, des mécanismes permettant de répercuter le surcoût des recours dans le coût unitaire de base du service. Mais si ce surcoût devient disproportionné, c'est l'offre du service qui peut disparaître. C'est un peu le scénario qui menace en France certaines spécialités chirurgicales. Si, d'un côté, pour des raisons justifiées, on cherche à empêcher l'explosion des dépenses de santé, et qu'en même temps on laisse s'alourdir les charges d'assurance d'une activité technique de plus en plus sophistiquée et donc de plus en plus risquée, l'impasse est inévitable. Le système américain ne parvient à fonctionner qu'en laissant ses dépenses de santé fuir en avant. Et bien souvent, l'origine de cette fuite en avant est le parasitisme judiciaire.
Les effets de la loi Kouchner
En France, la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades a introduit des dispositions qui se révèlent contraignantes pour l'exercice chirurgical. Elle impose en effet une information extensive du patient par le chirurgien lui-même et exige du chirurgien la souscription obligatoire d'une assurance professionnelle. Elle prévoit également un mécanisme d'indemnisation des accidents médicaux.
A en juger par la première année de fonctionnement, selon la SOFCOT, ce train de mesures ressemble fort à un TGV sur la voie duquel se trouveraient des obstacles et que l'on essayerait de ralentir en tirant le signal d'alarme.
Les ressources actuelles du système de soins rendent en effet très problématique la mise en œuvre de ce qui se voulait un modèle idéal de relation patient-médecin
En chirurgie orthopédique, chirurgie fonctionnelle plutôt que de caractère vital, le transfert en principe souhaitable d'informations vers le patient peut avoir des effets inattendus et indésirables. Bien souvent, le patient ne s'attend pas à cet afflux d'informations et peut même renoncer à son projet une fois qu'il est informé des risques qu'il court. Or l'annulation ou le report de quelques années du projet opératoire peut être préjudiciable et compromettre l'autonomie du patient. De surcroît, si l'information a le mérite de responsabiliser le patient, elle n'est pas comprise ou interprétée de la même manière selon le niveau d'instruction. Enfin, l'obligation d'information par le chirurgien, qui n'est pas délégable, représente une charge supplémentaire de travail pour ce professionnel dont il est difficile d'assurer la rémunération de façon standardisée.
La crise des vocations
Il est inconcevable d'imaginer un exercice professionnel chirurgical sans couverture d'assurance. L'introduction d'une obligation légale de couverture pour les chirurgiens, doublée de la création d'un organisme d'indemnisation de l'accident médical, aurait dû réjouir l'industrie de l'assurance. Il n'en a rien été et le marché de la responsabilité civile professionnelle a été déserté par la plupart de ses acteurs historiques, sous le prétexte de l'insuffisance de rentabilité de ce secteur. La réduction du nombre d'assureurs a fait exploser les primes réglées par les spécialistes chirurgicaux. La cotisation de la chirurgie orthopédique a quadruplé, les praticiens n'ayant, pour maintenir leur équilibre économique, qu'un impossible choix entre multiplier par quatre leurs honoraires ou multiplier par quatre le nombre d'interventions d'indication douteuse. Enfin, l'effet décourageant de ce niveau de cotisation d'assurance explique en partie la baisse des vocations avec les conséquences démographiques qu'on imagine.
Au total, si une situation à l'américaine a pu paraître séduisante pour le consommateur de soins, en raison d'une meilleure indemnisation en cas de complication, elle se révèle, à l'expérience, plutôt défavorable aux intérêts collectifs et individuels des protagonistes du système de santé. Ce système, axé sur la solidarité, peut difficilement se charger du fardeau financier supplémentaire imposé par la judiciarisation croissante de son fonctionnement. La solution reste à trouver. Elle passe obligatoirement par la restauration du rapport de confiance, traditionnel, « à la française », entre le chirurgien et le patient.
D'après une conférence de presse et une table ronde du congrès annuel de la SOFCOT (Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique, www.sofcot.com.fr, avec les
Prs D. Goutallier, H. Coudane, S. Gromb, les Drs C. Delaunay, P. Gleyze, C. Pagès, H. Lanternier, M. Chanzy, C. Hervé, O. Jardé , le juge G. Thiel et Me I. Lucas-Baloup.
* Lors d'un déjeuner à l'Elysée avec une délégation du Centre national des professions de santé, Jacques Chirac a demandé au ministre de la Santé de légiférer afin que la crainte des poursuites judiciaires ne paralyse pas le médecin (« le Quotidien » du 8 octobre).
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