Par un pur hasard du calendrier judiciaire, c’est le jour de l’appel à la fermeture des cabinets que la Cour de Cassation a examiné en audience publique jeudi à 14 heures le droit des généralistes à coter en Cs. L’enjeu est de taille puisque cette décision va avoir un impact considérable sur le mouvement de guérilla tarifaire lancé par MG France depuis presque deux ans. Loin de l’agitation des AG des généralistes en grève dans toute la France, la Cour s’est en effet penché, au cours de débats feutrés et d’une très grande technicité, sur le pourvoi en cassation de la CPAM de la Drôme contre une décision de la Cour d’appel de Grenoble qui avait en mars 2009 conclut que neuf généralistes de la Drôme, dont le Dr Claude Leicher, président de MG France, étaient en droit d’utiliser le Cs pour coter leurs consultations.
Jusqu’ici l’Assurance-maladie se prévalait de ce que ce jugement n’était pas définitif pour refuser aux autres généralistes qualifiés d’utiliser la nomenclature du spécialiste. L’avocat de la Sécu a axé sa plaidoirie sur le fait que les textes qui définissent la rémunération des médecins et ceux qui créent la qualification de « spécialiste de médecine générale » (c’est-à-dire la loi de modernisation sociale de 2002) sont autonomes. En outre, il a affirmé qu’on ne peut pas comparer le « surcroît de formation (le DES de médecine générale, ndlr) du généraliste avec la formation des spécialistes ». Il a également argué que les métiers sont différents : « le médecin généraliste traite notamment des problèmes en urgence, il adresse vers un spécialiste, il assure le suivi ».
« Je ne me suis pas du tout reconnu dans cette définition du généraliste » a commenté le Dr Denis Boyer, l’un des neuf généralistes de la Drôme, à l’issue de l’audience. À l’inverse, leur avocat s’est notamment appuyé sur la nomenclature de l’Assurance maladie, laquelle prévoit que le C soit utilisé par « l’omnipraticien » et le Cs notamment par le « médecin spécialiste qualifié ». « La question de la qualification est bien au cœur de la nomenclature » a souligné maître Boulloche. Il a également plaidé que la distinction entre généralistes et spécialistes n’est pas fondée sur le domaine médical dans lequel exerce un médecin, contrairement à l’argument avancé par l’autre partie. Il s’est ainsi notamment référé aux exemples des pédiatres, gériatres et internistes également formés à une « prise en charge globale du patient ».
Les deux avocats se sont également opposés sur toute une série d’éléments : existence de deux collèges dans les URML, possibilité de double convention, conséquences des DES et DESC. « La question est délicate sur le plan juridique » a admis l’avocat général de la Cour de Cassation. Mais bien que la controverse soit par nature purement juridique, l’avocat général et celui de l’Assurance-maladie ont aussi fait référence au contexte financier. « La solution qui sera donnée par cette juridiction pourrait avoir des conséquences financières très lourdes » a indiqué à la Cour l’avocat général, évoquant le coût de 250 millions d’euros. Tout en « reconnaissant la difficulté du problème », ce dernier a néanmoins donné un avis en faveur de la cassation de la décision de la Cour d’appel de Grenoble.
Des déclarations de la ministre de la Santé à l’Assemblée nationale ont également été évoquées. Or, la décision sera rendue par la Cour de cassation le 8 avril soit quelques jours à peine avant la remise par Bertrand Fragonard du « règlement arbitral » à Roselyne Bachelot et Éric Woerth. Les syndicats médicaux ont demandé à l’arbitre que ce texte qui va tenir lieu de convention médicale comprenne le droit au Cs pour les généralistes (Mg France, Union généraliste, SML) ou la revalorisation du C à 23 euros (CSMF).
Dans le même temps, deux décisions de Cour d’appel (Strasbourg et Nancy) sont attendues prochainement et des dizaines de procédures devant des TASS sont en cours. Lundi, le Dr Éric Mener était au TASS de Vannes parce que la CPAM n’avait pas remboursé les CS qu’il avait cotés. « Le Cs vaudrait 22 euros, j’aurais fait exactement la même démarche » a dit après son audience ce généraliste. « Même si la décision de la Cour de Cassation devait être négative, nous n’arrêterions pas le combat, a précisé maître Carole Younes, son avocate à l’issue de l’audience publique jeudi après-midi. S’il le faut nous irons devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est une hypothèse sérieusement envisagée. Et de toute façon, nous alons continuer à lancer d’autres procédures dans toute la France. Mais on peut aussi avoir une bonne surprise ».
Si la Cour de cassation devait confirmer la décision de la Cour d’appel de Grenoble en faveur des neuf généralistes, cela signifie que dans toutes les procédures en cours les avocats des médecins pourraient se référer à cet arrêt. Mais surtout politiquement, l’Assurance-maladie et le ministère de la Santé ne pourraient pas laisser s’installer une situation d’anarchie tarifaire. Une solution devrait alors être très rapidement trouvée et la copie du règlement arbitral pourrait alors être revue en conséquence. Une mauvaise nouvelle pour le directeur de l’Assurance maladie lequel compte bien faire de la consultation à 23 euros la monnaie d’échange des engagements des médecins pour la prochaine convention médicale. Si la Cour de Cassation lui donne raison, MG France tue le match. En général, la Cour de Cassation suit l’avis de l’avocat général six fois sur dix. Les jeux sont donc complètement ouverts.
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