Jamais les instituts de sondage n'auront été aussi discrets. Et c'est quand ils ont conquis le droit de réaliser des sondages pendant la dernière semaine qui précède le scrutin qu'ils évitent d'en faire.
Leur incapacité à prévoir le score de l'extrême droite au premier tour de la présidentielle les a rendus extrêmement prudents et ils se sont bien gardés, entre les deux tours, de dire autre chose que Jacques Chirac l'emporterait probablement.
Une projection théorique
Il en va de même avant le premier tour du scrutin des législatives. Tous les instituts croient constater une légère avance de la droite classique sur la gauche classique ; tous estiment que cette avance devrait logiquement aboutir à la reconquête de la majorité en sièges à l'Assemblée par la droite ; tous indiquent qu'une simple différence de 2 % est capable de renverser le pronostic et que la projection en sièges ne peut être que théorique.
En revanche, aucun sondage n'a suggéré, à ce jour, que la gauche puisse gagner les législatives. Plusieurs journaux ont établi la moyenne des résultats des sondages : ils montrent que la majorité sera à droite, avec une avance suffisante pour atténuer l'incertitude liée à l'exercice de la prévision ; des sondages complémentaires révèlent une majorité de plus de 60 % contre la cohabitation, question centrale de la consultation électorale.
On pourrait donc former une conviction si on n'était gagné par le scepticisme général sur la valeur des sondages et sur la vérité des intentions de vote exprimées, sans compter la forte proportion d'électeurs qui n'ont pas encore pris leur décision.
En outre, il est clair que si la droite l'emporte d'un cheveu, elle aura presque autant de difficultés à gouverner que si les Français choisissaient de nouveau la cohabitation. C'est pourquoi les leaders de la droite soulignent qu'une élection n'est jamais gagnée d'avance et que la campagne doit se poursuivre sans désemparer jusqu'à samedi. Quel qu'il soit, le prochain gouvernement devra avoir les coudées franches : il y a des réformes en profondeur à accomplir dans ce pays et, pour les faire, il faut un pouvoir solide qui ne s'épuisera pas dans d'interminables joutes parlementaires.
La concentration des pouvoirs
Il est bien improbable toutefois que la droite retrouve la majorité qu'elle avait avant 1997, soit quatre cinquièmes des sièges. Elle peut compter sur une gauche qui voudra prendre sa revanche. Aussi, lorsque les leaders de gauche dénoncent le risque d'une concentration des pouvoirs à droite, ils ne font qu'utiliser un argument de circonstance. D'abord, il leur est arrivé à eux aussi de disposer de tous les pouvoirs ; ensuite, quand ils ont dû cohabiter, ils sont parvenus à faire tout ce qu'ils voulaient et ont pratiquement privé le président de son rôle, en réussissant un exploit : conçue pour établir un régime semi-présidentiel, la Constitution a été transformée par eux en un instrument qui accorde au Premier ministre la totalité de l'exécutif.
La Constitution, en effet, n'a pas prévu la cohabitation ; mais elle a fort bien résisté aux coups de théâtre électoraux qui se sont produits ces vingt dernières années en transférant le pouvoir exécutif tantôt au président, tantôt au Premier ministre. Elle n'a jamais permis un partage des pouvoirs. De sorte que le régime, au fil des scrutins, n'a pas été semi-présidentiel, mais tout parlementaire ou tout présidentiel. Robert Badinter, dans un article récent, souligne qu'au moment où l'on parle d'une nouvelle Constitution et d'un VIe République, la Ve prouve qu'elle fonctionne en dépit de toutes les sautes d'humeur, de tous les caprices, de toutes les inversions idéologiques de l'électorat. Effectivement, elle prend acte du choix électoral et accorde le pouvoir, tout le pouvoir au gouvernement issu des élections générales, quitte à vider la fonction présidentielle de sa substance.
Les vux contradictoires du peuple
Jacques Chirac ne voit pas les choses autrement : il n'est pas question pour lui de changer la Constitution ni de préparer l'avènement d'une nouvelle république. Il s'en tient à la lettre de la Ve. Et sans doute, si la droite est battue, ne démissionnera-t-il pas, en se fondant sur un seul argument : j'ai été réélu, un gouvernement de gauche a été élu et bien que la cohabitation me répugne, je me conformerai aux vux contradictoires du peuple.
L'argument vaut ce qu'il vaut, dès lors qu'en politique la conduite personnelle n'est pas négligeable et qu'au droit constitutionnel il faut ajouter une pincée d'éthique personnelle. Mais il est vrai que rien n'oblige le président à se démettre en cas de victoire de la gauche aux législatives et que François Mitterrand, confronté au même choix, a décidé de rester.
Nous continuons de penser qu'une nouvelle cohabitation serait catastrophique dans un moment de l'histoire où doivent être adoptées des décisions qui engageront le pays pour l'avenir. Toutefois, il appartient aux Français de décider. Certes, M. Chirac a été réélu par un consensus démocratique ; il serait néanmoins inconcevable qu'il fasse peser sur l'électorat de gauche une sorte de chantage qui la contraindrait une seconde fois à voter non pas à gauche mais contre la cohabitation, autre péril, mais tout de même infiniment moins grave que le précédent. C'est en ce sens que le chef de file des socialistes, François Hollande, se bat pour la cohabitation, alors que tous les socialistes n'en pensent que du mal, et qu'ils l'ont même dit clairement au lendemain du premier tour de la présidentielle.
Le train politique
On a reproché à M. Chirac de n'avoir pas tenu compte d'une réélection qu'il doit en définitive à Jean-Marie Le Pen ou, si l'on préfère, au rassemblement de tous les démocrates, et de n'avoir pas conçu un programme susceptible de satisfaire au moins en partie ou une partie de l'électorat de gauche qui lui a fait un si beau cadeau. Dès lors qu'il n'en a pas tenu compte, le chef de l'Etat ne saurait souhaiter maintenant une majorité qu'il devrait partiellement à l'électorat de gauche : logiquement, le gouvernement post-législatives devrait alors inclure les idées de la gauche dans l'action gouvernementale et les hommes de gauche dans le prochain gouvernement.
On n'en est pas là. En dépit de l'aveuglante visibilité des partis extrémistes, en dépit du mouvement de protestation qui a conduit au résultat du premier tour de la présidentielle, en dépit de la multiplicité des candidats et des mouvements politiques en lice, il existe en France une droite classique qui, alternativement, s'empare du pouvoir ou le perd. Ce qui signifie que M. Chirac peut l'emporter en ne comptant que sur ses propres troupes, mais qu'il peut perdre aussi ; et que, de même que la Constitution maintient le train politique dans ses rails, de même il faut toujours se résigner au verdict des urnes, quelles qu'en soient les conséquences, parce qu'on ne peut faire autrement dans un système de démocratie parlementaire.
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