LA SANTE EN LIBRAIRIE
A priori, l'exercice auquel Loïc Capron, professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie et chef du service de médecine interne, s'est livré pour les lecteurs de « la Revue du praticien » depuis 1988, n'est pas précisément hilarant. Il s'agit en effet d'arracher aux mots médicaux leurs secrets étymologiques, de retracer leur histoire, pour mieux en discuter l'orthographe et l'usage, le tout sans se priver des lumières de la science médicale actuelle.
A coup sûr, l'œsophage ou la saphène, l'anévrisme ou l'alopécie, la syphilis ou l'hyperidrose, la dépression ou le sphacèle méritent, comme tant d'autres termes utilisés en médecine, tout l'intérêt du décortiqueur de mots. Celui-ci, armé d'une petite cinquantaine de livres parmi lesquels dominent les dictionnaires, ainsi que de la collection complète des revues médicales parmi les plus prestigieuses, nous fait découvrir ou redécouvrir les merveilles de la langue grecque : que de vicissitudes n'ont pas subi le iota et l'upsilon grecs, au grand dam de mots comme hyperidrose, xiphoïde ou anévrisme, souvent gratifiés à tort d'un y. Le mot œsophage devient limpide, lorsqu'on apprend qu'il signifie, n'en déplaise au dictionnaire d'Oxford chicaneur, « qui porte ce qu'on mange », tandis que le symptôme, ce mot qui est « toute la raison d'être de la médecine », se cherche du côté du hasard et de la malchance grecs, avant de se trouver dans le « signe, accident, ou révolution qui arrive dans une maladie » avec Furetière.
Si le grec tient une place prépondérante dans la langue médicale, les tours et détours latins ne manquent pas, l' opion grec devenant par exemple l' opium latin puis français, la figue dont les Latins gavaient leurs oies pour en dévorer les gras « jecores » ayant fini par donner son nom à nos foies français. Ce qui n'exclut pas les aventures exotiques : l' alcool provient comme chacun sait, après passage en alchimie, du khôl dont les Orientaux se fardaient. Et l'origine du mot kwashiorkor est tout aussi cruelle que la maladie elle-même, puisque le mot désigne, dans le dialecte du peuple Ga-Krobo-Adangbe, la place dans la famille de l'enfant « qui vient d'avoir un frère ou une sœur ».
On ne s'étonnera pas que des chroniques rédigées à la fin du XXe siècle montrent l'importance prise par l'anglais dans le langage médical : on peut citer le staff, terme qui a pu recouvrir toutes sortes de réalités avant de s'appliquer notamment à diverses réunions médicales ; le stent, dont l'origine reste difficile à situer entre un verbe peu usité et un dentiste anglais ; ou le stress, dont l'immense réussite ne révèle que la parenté anglaise et cache les grand-parents français et latins.
Erudition et humour
De telles analyses seraient déjà fort précieuses pour le médecin avide de mieux connaître, donc de mieux utiliser les mots qu'il prononce tous les jours. Mais de surcroît, Omicron réussit une « subtile alliance » entre érudition et « humour plus qu'anglais » et manifeste une « joie contagieuse de transmettre le fruit de ses recherches », selon les formules de son préfacier, Jean-Yves Nau. Traquant illogismes, mésusages ou dérives surprenantes, répondant à des lecteurs aussi attentifs que savants, éparpillant çà et là des anecdotes savoureuses, prenant résolument parti après discussion avec les plus savants, glissant à l'occasion de judicieuses remarques, citant les meilleurs auteurs - dont Rabelais -, Omicron s'amuse manifestement autant qu'il nous amuse : pour notre plus grand plaisir, il déteste le suffixe -logie et adopte le pedigree issu du pied-de-grue, il s'inquiète de l'avenir d'eczéma et joue avec délectation de l'os et de l'oral, il nous embrouille dans le dédale de nos tripes et boyaux et refuse la discussion byzantine entre embole et embolie et, pour finir, nous présente nos quatre zygomatiques, ces muscles qui « agissent principalement dans l'action du rire ».
« Mots et maux », Omicron (Loïc Capron), « la Revue du Praticien », Editions Jean-Baptiste Baillière, 264 pages, 140 F (21,34 e).
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