E N politique, et surtout quand on occupe une fonction élevée, on est très exposé à la fois à cause de ce qu'on dit ou fait dans l'instant, et à cause de ce qu'on a pu dire ou faire autrefois. Le système est ainsi fait qu'une forme de harcèlement, pas moins odieuse que l'autre, s'exerce sur nos dirigeants.
Dans le cas de Lionel Jospin et de son passé trostkyste, le problème vient moins de ce qu'il ait pu l'être que du fait qu'il l'a démenti pour le reconnaître, en définitive, mardi devant l'Assemblée nationale. La presse, qui ne lâche jamais son os, l'a prouvé. « Le Nouvel Observateur », pourtant peu suspect d'être hostile au gouvernement, - mais un scoop est un scoop -, a révélé cette semaine, en effet, que M. Jospin a bel et bien été ce qu'il jurait n'avoir jamais été, et qu'il a même suivi des cours de trotskysme auprès d'un certain Boris Fraenkel, lui-même repenti.
Bien entendu, toute cette histoire n'a aucun rapport avec l'action actuelle de M. Jospin. Elle sert surtout à offrir, à onze mois de l'élection présidentielle, une image peu compatible avec les idées d'un certain nombre d'électeurs dont le Premier ministre sollicitera les suffrages.
S'il a été troskyste, M. Jospin ne l'est plus, ce qui signifie au moins qu'il est capable de changer, démarche qui traduit souvent une belle intelligence. Certes, on trouvera toujours des gens pour dénoncer quelque complot occulte à la faveur duquel M. Jospin fomenterait une révolution, mais déjà on sort du raisonnable.
On peut aussi citer bon nombre de dirigeants ou anciens dirigeants qui ont appartenu à l'extrême droite ou à l'extrême gauche pour rejoindre plus tard les rangs des modérés ; ou d'anciens soixante-huitards qui se sont coulés dans le moule classique des partis traditionnels, puis des cabinets ministériels ou des ministères. Bref, ce qui compte, c'est ce que M. Jospin pense aujourd'hui quand il exerce le pouvoir et non ce qu'il pensait quand il ne l'exerçait pas, et dont tout le monde, à vrai dire, se moque.
En cherchant bien, on se souviendra que Jacques Chirac lui-même a signé l'appel de Stockholm, ou qu'Alain Madelin, avant de devenir le champion du libéralisme économique, appartenait au mouvement Occident. On ne fera un procès ni à l'un ni à l'autre au sujet de « péchés » de jeunesse largement périmés ; il n'y a donc pas de raison d'en faire à M. Jospin dont il est préférable d'évaluer les idées et l'action d'aujourd'hui. Il y aurait beaucoup à dire par exemple sur la déclaration qu'il a prononcée un jour à l'Assemblée et dans laquelle il se disait « fier d'avoir des communistes » dans son gouvernement. On ne le rappelle pas ici pour que la honte, chez lui, se substitue à la fierté, mais pour en rire : le plus drôle est que cet ancien trotskyste est menacé par la composante communiste de sa coalition gouvernementale et que si Robert Hue complique la tâche de M. Jospin, c'est principalement parce qu'il craint la concurrence sérieuse que lui font les trotskystes.
De sorte qu'on devine une ébauche de solution à la crise de la gauche plurielle : au lieu de brandir des menaces à tout bout de champ, M. Hue devrait demander au Premier ministre d'intervenir auprès d'Arlette Laguiller pour qu'elle le laisse en paix. M. Jospin n'a sûrement pas oublié les cours que lui a prodigués M. Fraenkel ; il doit donc savoir comment il faut s'adresser à un troskyste et le convaincre. Il peut même dire à Mme Laguiller que lui aussi est passé par là, mais que lui, contrairement à elle, ne s'est pas entêté dans des convictions qui l'auraient marginalisé et ne l'auraient pas conduit, en tout cas, à l'Hôtel-Matignon.
Bref, M. Jospin est parfaitement qualifié pour persuader Mme Laguiller qu'il y a une vie avant la révolution et pour lui parler au nom du passé.
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