LA SANTE EN LIBRAIRIE
L 'EDITEUR annonce « un thriller sur le mariage actuel de la santé et du profit », sous le titre simplissime « Vertex ». L'histoire sans doute exemplaire des premières années d'une audacieuse start-up biomédicale américaine devrait trouver plusieurs espèces de lecteurs. Au premier rang, les passionnés de marketing ne manqueront pas de s'intéresser au personnage central du livre, Joshua Boger, chimiste et créateur de Vertex, bien décidé à vendre une image avant même de façonner son premier médicament. S'il cumule les fonctions d'animation scientifique et de gestionnaire, il semble consacrer beaucoup, sinon l'essentiel de son temps, à défendre le concept qui sous-tend la création de Vertex et l'image de la société, auprès des investisseurs et des partenaires potentiels à travers le monde.
Les ratés et les réussites de sa stratégie, relayée en particulier par « le seul non-scientifique » de l'entreprise, Rich Aldrich, ne semblent pas toujours suivre une logique évidente, ce qui n'étonnera guère une autre catégorie de lecteurs potentiels du livre, les amateurs de finances ou les boursicoteurs passionnés. Les sommes en jeu reposent uniquement sur un espoir : en effet, jusqu'à la fin du livre, on attend une victoire décisive des brillants chercheurs de Vertex et on n'assiste qu'à des succès partiels, le plus souvent dépassés par d'autres équipes, et en particulier par un collaborateur de la première heure devenu concurrent redoutable. « Vertex n'était pas près de sortir un médicament, mais Boger passait pour un pionnier, et il savait se vendre », remarque l'auteur dans les dernières pages du livre. Si bien que malgré les « hypothèses scientifiques non vérifiées », les « promesses non tenues », les « objectifs incertains », les « labos travaillant à la limite de leurs capacités », Boger va transformer « une start-up désargentée et détenue par un cercle très étroit en société cotée en Bourse ».
Suspense et rivalités
Le suspense apparaît effectivement commme financier : si Boger et son équipe ont créé une telle société, c'est certes pour défendre leur conception de la fabrication des médicaments, certes pour mettre au point avant les autres de nouveaux produits, mais aussi pour profiter financièrement de leur future réussite. Il fallait donc d'abord décrocher les fonds nécessaires à une recherche susceptible de rivaliser avec les plus grandes firmes pharmaceutiques, à commencer par Merck, où Boger avait commencé sa carrière, ce qui ne va pas, on s'en doute, sans difficultés, rivalités, rebondissements, déceptions, tandis que les succès sont toujours à renouveler.
Parallèlement se déroule une autre histoire, qui devrait, elle, intéresser les chercheurs et les pharmacologues, celle des recherches que mène l'équipe de Vertex autour des immunosuppresseurs et des immunophilines. On est bien loin du chercheur serein, retiré dans sa tour d'ivoire, avide de connaissance pure. Il faut parfois s'accrocher pour suivre les nombreux personnages qui jouent un rôle de premier ou de second plan dans l'aventure, et c'est dans la fébrilité, dans la passion, dans les rivalités parfois sauvages que les idées s'échangent, que les chercheurs débattent, travaillent d'arrache-pied, pour parvenir à purifier, identifier, préciser les actions d'une protéine, façonner une molécule, publier avant les autres.
Boger a abandonné Merck et toute sa puissance pour créer Vertex, sur une certitude : le criblage a fait son temps en recherche pharmaceutique et l'avenir est à la modélisation des molécules médicamenteuses. Au bout de 310 pages, sa foi n'a pas vacillé, mais Vertex n'a pas atteint le Graal de la modélisation. L'éditeur fournit tout de même une fin à l'ouvrage : non seulement Vertex a survécu, mais il a « sorti sa première molécule » dix ans après sa création et continue de fonctionner avec une certaine efficacité selon le type d'approche cher à Boger : « S'attaquer à des familles de protéines, plutôt que se concentrer sur des pathologies particulières.»
L'indifférencié
Il serait intéressant d'avoir le point de vue sur ces « tribulations d'une start-up biotech » des deux auteurs d'un petit livre beaucoup plus bref et sans doute plus facile à lire, à condition d'avoir une petite teinture de base de psychanalyse. Kathleen Kelley-Lainé, psychanalyste qui « a longtemps travaillé pour l'OCDE », et Dominique Rousset, journaliste versée dans l'économie et la médecine, proposent en effet sept « Contes cruels de la mondialisation », interprétés par leurs soins sous la houlette de Freud. Pour héros, les auteurs ont choisi des personnages réels ou bien proches de la réalité : le plus jeune n'aura pas vécu plus de sept mois, bébé iranien victime d'une guerre propre. On ne sait pas précisément l'âge d'Alfredo, père de famille et victime d'une épidémie qui ne dit pas son nom, mais qui semble avoir pour soubassement une perte générale des responsabilités. On garde un espoir pour l'avenir de Cheng, très jeune Chinois obèse, mais Anita, la jeune femme philippine qui suit sa famille par vidéocassette interposée, exilée à Paris pour nourrir tout son monde, paraît aussi mal partie dans la vie que ses enfants ou son mari. Les inquiétudes restent vives pour ces enfants qui s'amusent à électrocuter Marv, poupée condamnée à mort, comme pour les fans d'un Elvis Presley virtuel ou pour la mère d'un enfant volontairement sans père (et, bien sûr, pour cet enfant).
Notre monde d'aujourd'hui sort de ces aventures sous les traits d'une très mauvaise mère pour les humains, incapable de les tirer vers la pulsion de vie parce que trop désireuse de les conserver dans la fusion, dans l'indifférencié, dans l'Un. Tout n'est pas perdu pour autant : Freud leur rappelle la force d' « Eros, cet ami éternel capable - on le sait bien - de sursauts inattendus, salvateurs, pour assurer la survie humaine ».
« Vertex, les tribulations d'une start-up biotech », Barry Werth, Science infuse, 320 pages, 95 F (14,48 e).
« Contes cruels de la mondialisation », Kathleen Kelley-Lainé, Dominique Rousset, Bayard, 140 pages, 98 F (14,94 )).
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