Livres
Le parcours de Daniel Pennac est ce qu'on appelle exemplaire. Plongé dès sa tendre enfance dans l'univers des livres grâce à son père, militaire et néanmoins grand lecteur, il a écrit son premier roman vers vingt ans, un manuscrit qui a été - heureusement, dit-il aujourd'hui, refusé et qu'il a détruit.
Son premier ouvrage publié en 1973, alors qu'il a trente ans, s'appelait « le Service militaire au service de qui ? » et démontait les trois mythes de base de l'institution, l'égalité, la maturité et la virilité. Puis il a commis, avec la complicité d'un certain Tudor Eliad, un Roumain avec qui il mettait au point des histoires qu'il se chargeait ensuite d'écrire, deux autres romans, sortes de fantaisies politiques, « les Enfants de Yalta » en 1977 et « Père Noël », en 1979, qui n'ont pas vraiment marché.
Il était alors, depuis 1969, professeur de lettres, à Soissons puis à Paris, et s'adressait à des enfants entre mauvais élèves et sauvageons. Une activité qu'il exerça jusqu'en 1995, avec une pause entre 1978 et 1980 lorsqu'il a accompagné sa première femme, sociologue, à Fortaleza au Brésil. De retour en France, il s'est lancé dans les histoires pour les enfants dont plus d'une dizaine sont déjà parues chez différents éditeurs.
Puis en 1985 ça a été la publication de « Au bonheur des ogres » dans la « Série Noire » de Gallimard, en 1987 de « la Fée Carabine », en 1990, dans « la Blanche », de « la petite Marchande de prose » et, en 1996, de ce qui devait être le dernier volume de la tétralogie, « Monsieur Malaussène » - auquel s'est ajouté un cinquième tome en 1999, « Aux fruits de la passion ». Entre deux succès, en 1992, il publiait « Comme un roman », un ouvrage sur la méthode qu'il pratiquait en tant que professeur afin de réconcilier les enfants avec la lecture.
Aujourd'hui, près de six millions d'exemplaires de ses livres ont été vendus, il est traduit dans le monde entier mais il n'a rien changé à la simplicité de sa manière de vivre et s'il a arrêté d'enseigner, il va toujours dans les classes « où, maintenant, sourit-il, on torture les élèves avec mes livres ».
Sosies et cinématographe
Voilà pour le personnage. Il mérite qu'on s'y arrête.
Le livre aussi, pertinente réflexion sur le pouvoir et sa caricature donnée à travers l'histoire de Manuel Pereira da Ponte Martins, un dictateur quelconque d'une quelconque république bananière, qui, pour échapper au lynchage par la foule qu'une voyante lui avait prédit, s'est fait remplacer par un sosie avant de filer en Europe. Lequel sosie, après avoir accompli excellemment sa tâche un certain temps, s'est lassé de jouer sans cesse la même comédie du pouvoir et a formé un autre sosie pour émigrer aux Etats-Unis et exceller dans d'autres rôles qu'offre le cinématographe... Ainsi de suite jusqu'au jour où le dictateur retourna dans son pays pour constater que le peuple continuait d'adorer un Pereira qui n'était plus qu'une caricature de lui. Ce qu'il advint, on vous laisse le découvrir.
Au-delà de l'intrigue romanesque, Daniel Pennac témoigne du coup de foudre qu'il a eu pour le Brésil - plus précisément pour l'« intérieur » du pays si aride et si pauvre, vivier des sosies - dans des pages pleines d'émotion et néanmoins acides. Il se souvient notamment d'un des plus grands propriétaires terriens du Nordeste, un médecin qui se flattait de soigner gratuitement ceux-là même qu'il contribuait à maintenir en servitude. « Comment admettre que le père nourricier fut aussi l'affameur, et sa paternelle charité l'auréole d'un paternalisme meurtrier ? »
Il se souvient aussi d'un universitaire français qui s'était fait fort de
témoigner de l'action d'un prêtre de l'intérieur dont on lui avait dit qu'il défendait la cause paysanne ; quand enfin la rencontre eut lieu et alors que le jésuite expliquait son travail, le témoin historique s'était endormi dans son hamac : le « dormeur du sertao » ronflait...
Daniel Pennac multiplie ainsi les anecdotes en tous genres, certains piquantes comme le souvenir d'un atterrissage en catastrophe alors qu'il était à bord d'un petit avion qui perdait de l'huile, d'autres merveilleuses comme la vision une nuit de ces deux paysans qui, dans un village de l'intérieur, avaient bidouillé la carcasse d'une petite télé noir et blanc sur l'électricité municipale et riaient d'un rire muet devant un film sans paroles : Charlot en train de lutter contre la neige et le vent dans « La ruée vers l'or ».
Dans ce récit de jeux de rôles en abymes, le cinéma occupe une large place - et l'on voit ainsi l'un des ex-sosies de Pereira être embauché, après bien des péripéties, comme doublure lumière de Rudolph Valentino à dix dollars la semaine et mourir un soir de l'hiver 1940, à Chicago, dans une salle de cinéma où l'on donnait « Le dictateur » de Charlie Chaplin...
Il y aurait beaucoup à dire encore de cette rêverie entre terre et ciel puisque menée dans un hamac, dans lequel, dit l'auteur, « j'étais le romancier le plus fécond et le plus improductif du monde ». La preuve que oui et non !
Editions Gallimard, 400 p., 22,50 euros
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