La santé en librairie
Marié et déjà père de deux enfants, Jean Bernard est mobilisé en 1939 comme médecin de l'ambulance chirurgicale 428 puis à l'Hadfield-Spears avant d'être démobilisé en juin 1940 alors qu'il se trouve entre Noaille et Brive. Il s'engage dans la Résistance dès 1940 et appartient au groupe formé autour de René Parodi (frère d'Alexandre), qui lui-même appartient au fameux réseau du musée de l'Homme. Il participera d'abord au réseau « Action » à des opérations de parachutages en Provence et de liaison avec les felouques anglaises en Méditerranée avant de travailler au réseau « Renseignement ».
En avril 1943, il est arrêté par la Gestapo alors qu'il se trouve chez lui avec sa femme et ses enfants. Embarqué à Fresnes et jeté dans une cellule, il y restera jusqu'à la fin de l'année. Pendant plusieurs semaines, il vivra dans l'ignorance de ce que lui reprochent ses geôliers. Plus les jours passent, sans interrogatoire ni chef d'accusation, plus il espérera avoir échappé au pire, la déportation ou l'exécution. Puisque les Allemands ne l'interrogent pas, c'est peut-être qu'ils ne connaissent pas son activité de résistant, ou pas tout, se dira-t-il. Lorsqu'il sera finalement interrogé et tabassé trois mois après le début de son incarcération, il comprendra, avec le soulagement qu'on imagine, que la Gestapo lui reprochait comme seule compromission avec la Résistance une ordonnance pour un enfant malade, fils de résistant. L'arbre avait donc habilement caché la forêt.
Jean Bernard est libéré fin 1943. Tous ses compagnons de cellule seront ou exécutés ou déportés quelques jours plus tard.
La poésie gravée dans la mémoire
Les poux, la gale, les puces et punaises, la claustration s'ajoutent à la peur, à la méfiance des autres, à la solitude et à l'ennui. Jean Bernard parviendra à échapper à la folie et au désespoir en se réfugiant dans sa prodigieuse mémoire ; elle lui fait office d'écritoire et de bibliothèque. Il y écrit des poèmes, s'en remémore d'autres appris dans l'enfance. Ces mémoires de Résistance évoquent cette détention, son action pendant l'Occupation, le climat de ces années 1940-1944 et les grandes heures de la Libération de Paris. Les poèmes qu'il écrivit dans sa tête et que sa mémoire lui restitue aujourd'hui illustrent son récit. « Dans la prison que France est devenue, nous nous tordons sous le poids de nos fers », écrit-il.
Né juste avant la Seconde Guerre mondiale, Christian Dedet raconte ses souvenirs des années 1960 à 1962, pendant lesquelles il amorce sa carrière d'écrivain tout en débutant celle de médecin, qui n'aura qu'un temps. Là encore la guerre, celle d'Algérie cette fois, colore le récit, puisque l'auteur, pour qui « les seules émotions qui ne (lui) donnent pas de boutons sont celles de l'amour », risque d'être mobilisé pour vingt-sept mois de service militaire. Son journal se clôt d'ailleurs sur cette étape. Heureusement, la littérature est depuis longtemps au cur de la vie de ce jeune étudiant de Montpellier qui, parallèlement à la médecine, se consacre à des carnets littéraires (« Carnets de la licorne ») et se passionne déjà pour le monde de l'écriture.
C'est en quatrième année de médecine que Ch. Dedet publie son premier roman au Seuil, « le Plus Grand des Taureaux» ; d'autres suivront. Il « monte à Paris » et y rencontre Montherlant, Jean Paulhan, Michel Déon, Jean-Edern Hallier et bien d'autres. Il découvre ainsi les cénacles parisiens de l'édition, ses plaisirs et ses mérites, ses tares et ses mesquineries. En mars 1962, période à laquelle il fait valider son CES de rhumatologie, conscient qu'à cette époque cette spécialité est « principalement contemplative », mais date aussi des accords d'Evian, il écrit, sans doute conscient de sa vraie nature : « Je ne suis pas soucieux, je ne suis pas chagrin, ouvert, plutôt, à ce que la vie apporte, d'un naturel jouisseur (...). Mais qu'il s'annonce un obstacle ou si je me sens assujetti à un événement qui obère l'avenir, je ne suis plus capable de penser à autre chose et cela me gâte jusqu'à la couleur des jours. »
Un vent de liberté
L'expérience des remplacements de médecine générale en ville et à la campagne, celle des gardes à l'hôpital en orthopédie nourrissent sa créativité mais remettent aussi en question sa vocation médicale. Les mots des médecins ne sont pas les siens : « Etat rassurant, dit-on, pour qui ? A la fin, en bien comme en mal, on ne sait plus très bien ce que l'on dit. Essayer, médecin, de se voir avec les yeux des gens, serait-ce si fatigant ? », dit-il. Ceux des malades et la vision de leur malheur le confortent dans son désir et sa capacité de transcender la réalité par des mots : « On ne m'enlèvera pas de l'idée que c'est parce que Tchekhov était médecin qu'il a su rendre comme il l'a fait cette subite et presque fuyante beauté de la nature humaine », souligne-t-il. Ces années soixante, mélange de cynisme et d'optimisme, de conformisme social et de libération des murs, sont pour Christian Dedet moins celles de la peur sourde de la guerre que celles de l'enivrante découverte du monde, des relations amoureuses, de leurs voluptés et leurs cruautés, des projets littéraires et des voyages. Rien n'est vraiment grave, semble-t-il nous dire, du moment que l'on ait « quelqu'un à qui téléphoner, des mots d'amour à dire ».
« Dans la prison que France est devenue. Mémoires de Résistance », Jean Bernard, Editions Albin Michel , 218 pages, 16 euros.
« Sacrée Jeunesse. Chronique des sixties », Christian Dedet, Les Editions de Paris Max Chaleil , 446 pages, 23 euros.
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