LORSQU'ON ENTRE dans cet immeuble du centre parisien, on a l'impression d'arriver dans une ruche. Sur plusieurs étages, les bureaux se succèdent et des personnes s'y activent devant des téléphones. Nous sommes à l'Ecole des parents et éducateurs de Paris, l'EPP.
L'association existe au sein d'une fédération depuis 1929 et abrite sous son toit plusieurs lignes téléphoniques.
Les parents, d'abord, ont leur plateau, avec six lignes téléphoniques différentes, qui répondent à leurs questions d'ordre psychologique, juridique, scolaire et social ou sur les loisirs de leurs enfants.
Les jeunes ont deux fils à leur disposition. Jeunes Violences Ecoute a été créé récemment et est financé par le conseil régional. Le numéro anonyme et gratuit (0800.20.22.23) est ouvert tous les jours, de 8 heures à 23 heures. Il a commencé avec la lutte contre le racket. Depuis 1995, tous les jeunes, de 12 à 26 ans, peuvent y parler de leur santé, aussi bien physique que relationnelle, psychologique, sociale. Généralement, c'est par le bouche-à-oreille que les appelants ont eu connaissance du numéro.
Des filles surtout.
Le 0800.235.236 figure également dans les agendas des adolescents, sur des affichages en infirmerie ou est communiqué par les radios pour jeunes. Le fil est ouvert de 8 heures à minuit, tous les jours, même fériés.
D'après les statistiques réalisées chaque année, les trois quarts des appelants seraient des filles, autour de 16-17 ans. Sexualité, contraception, relations amoureuses, puberté, avec l'inquiétude face à la poussée des seins, la peur des règles, des MST, d'aller chez le gynécologue, l'oubli de la pilule, les difficultés d'utilisation du préservatif... sont les thèmes essentiellement abordés, explique Marie-Catherine Chikh, responsable du secteur Fil santé jeunes à l'EPP de Paris. Le numéro du fil apparaît d'ailleurs dans la notice de la pilule du lendemain.
«Dès le début, les jeunes ont utilisé cet espace pour s'exprimer... quand ça ne va pas... dans leur corps et “ailleurs” . Ils ont vite dépassé les seuls soucis de règles et de boutons. Ils peuvent demander aussi des conseils pour plaire à une fille, séduire un garçon.»
L'appel est anonyme et c'est un parti pris fondamental de l'association. «Cela facilite bien les choses pour l'adolescent, qui est à un âge où s'adresser à un adulte est compliqué. Il ne s'agit pas d'une écoute passive pour autant. On pousse l'appelant à aller de l'avant, on est là pour l'aider à exprimer ce qui ne va pas.»
Cette condition, l'anonymat, est essentielle, explique-t-on à l'EPP, mais c'est elle aussi qui peut frustrer certains écoutants. Une place importante lui est d'ailleurs donnée dans la formation des futurs écoutants.
«Le téléphone permet une proximité, mais cela reste un artifice, analyse Marie-Christine Chikh. Il faut faire comprendre à l'appelant que c'est bien qu'il arrive à s'exprimer, mais que ce n'est que le début de quelque chose. On les ouvre à une autre voie, vers un professionnel.»
Le groom de l'ascenseur.
Depuis douze ans, le Dr Samia Boughaba-Makmoul est écoutante sur le Fil santé jeunes. C'est très particulier, ce manque de suivi, admet-elle. «On ne sait absolument pas ce qui se passe après que l'on a raccroché. Donc, la réponse doit être la plus claire possible, la plus rassurante aussi. Si le contact est maintenu, il sera d'autant plus difficile pour le jeune de décrocher, d'aller voir ailleurs, de ne pas se contenter de notre écoute téléphonique.»
«Aux appelants, poursuit le médecin, l'anonymat offre une grande liberté, dont ils ne se privent pas, parfois, pour déverser des insultes, des mauvaises blagues... C'est une façon de nous tester, de tester notre dispositif. Il est arrivé que certains nous rappellent, deux ans plus tard, pour parler et nous disent:“Nous avons aimé la façon dont vous nous avez accueillis” . Alors, certes, la gratification ne vient pas du résultat concret, avec le temps, de ce que l'on a pu dire ou faire. Mais il faut donner du sens à l'instant. Je nous considère un peu comme le groom dans l'ascenseur. Nous accompagnons le jeune à l'étage qui lui correspond et lui souhaitons une très bonne journée! Il a besoin de poser une parole quelque part. Et ce moment peut être important pour lui, même si l'appel ne dure que dix minutes. A condition de considérer que le tout peut être contenu dans une seconde.»
Le Fil a développé un forum sur son site Internet. «Les jeunes nous envoient souvent des mails pour dire : “Je n'arrive pas à appeler'' », explique Marie-Catherine Chikh. C'est vrai que l'on met déjà de soi dans sa voix.Alors c'est un début de début.»
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