NE PARLEZ PAS à Nicolas Thual de la difficulté d'être médecin de campagne.
Aussitôt, il se redresse sur son fauteuil pour mieux vous convaincre : « Pourquoi parle-t-on tout le temps de la médecine en milieu rural sous cet angle ? Pourquoi dit-on qu'il faut être motivé pour exercer à la campagne et pour quelles raisons ne le dit-on pas quand on parle de la médecine de ville ? Je travaille en pleine zone rurale mais, comme trois autres collègues du secteur, j'habite et je vis au bord de la mer. En Bretagne, on n'est jamais très loin de la côte. »
Vie professionelle et vie privée.
Comme ses jeunes confrères installés ou les étudiants de médecine interrogés dans une étude publiée par l'Union régionale des caisses d'assurance-maladie (Urcam) de Bretagne en décembre 2004 (2), concilier vie professionnelle et vie privée est une priorité pour ce jeune médecin généraliste de 33 ans.
Mais là où Nicolas Thual se différencie, c'est par son lieu d'installation. Quand le quart des résidents interrogés dans l'étude bretonne cite la zone urbaine comme lieu d'implantation et les deux tiers une zone semi-rurale, qui « permet a priori un compromis entre vie professionnelle et vie personnelle », le Dr Thual choisit Bréhan, une petite commune agricole atypique de 2 400 habitants en plein cœur de la Bretagne. A une vingtaine de kilomètres de Pontivy, de Loudéac et de Josselin.
Pourquoi ? Parce qu'il y est né. Parce qu'il a une connaissance innée de ce qu'est le travail de médecin de campagne grâce à son père, généraliste qui exerce à Bréhan depuis trente-huit ans. « Pendant mes études suivies à Bordeaux, je faisais des remplacements ici, raconte Nicolas Thual. Travailler ainsi, c'était mon projet. Trois mois après mon diplôme en 2002, je m'installais. »
Pas étonnant qu'il soit devenu un ardent défenseur de la médecine de campagne. Peut-être. Mais tous les fils des médecins de campagne ne deviennent pas des généralistes ruraux convaincus.
Pour Nicolas Thual, l'installation à Bréhan est aussi le fruit de la décision du couple. « Ma femme, qui est dentiste, était d'accord pour venir s'installer également à la campagne. Nous étions convaincus qu'il fallait créer notre outil de travail pour que nos activités soient évolutives. On doit créer les conditions pour attirer de jeunes professionnels. Le plus jeune médecin du secteur après moi a 57 ans. Mon père a 59 ans. Il n'y avait rien de prévu pour faire venir un médecin. »
A peine arrivés, Nicolas Thual et sa femme se mettent en quête d'un terrain. Un grand terrain. On peut se permettre : 3 euros le m2, la campagne n'a pas que du mauvais. Il faut pouvoir accueillir d'autres activités pour former un réel pôle de services de santé.
Juillet 2004 : le pôle Ti Lann (maison de la lande en breton), initiative entièrement privée, sort de terre. Six cents mètres carrés équipés avec du matériel dernier cri. Deux vastes cabinets pour Nicolas Thual et son père, l'informatique en réseau, un espace pour accueillir quatre demi-journées par semaine un jeune podologue installé à Pontivy et désireux de développer son activité, un autre pour une diététicienne elle aussi sollicitée par le jeune médecin entrepreneur. En plus, une salle équipée pour faire de la traumatologie (plâtre, résine...) en urgence se trouve entre les deux cabinets médicaux. Une chambre de garde avec une kitchenette est même prévue. A l'étage, un appartement est mis à la disposition du médecin qui assure les remplacements de vacances.
Très rapidement, la jeune pharmacienne qui venait de reprendre l'officine de Bréhan s'est jointe au projet et a fait construire un vaste bâtiment qui fait face désormais au pôle médical. Enfin, des travaux vont commencer incessamment sur une autre partie du terrain pour accueillir un troisième bâtiment construit par un jeune kiné de 29 ans et un infirmier, également âgé de 29 ans, qui est associé à deux autres infirmières. La plate-forme de services de santé prend forme rapidement. Et fait la fierté des habitants. « Ils voient que nous ne sommes pas de passage, précise Nicolas Thual. Et puis, le pôle donne une certaine image à leur commune et, surtout, offre un service médical permanent et complet. »
Convaincre les récalcitrants.
Mais le défi est toujours à relever. Car, si l'outil est aujourd'hui en grande partie réalisé, il reste à convaincre les récalcitrants. « Pour le moment, ça va, même s'il y a la place pour au moins un médecin de plus, mais, quand mon père cessera son activité, s'il n'est pas remplacé, cela va changer toute mon organisation. » Pour convaincre, Nicolas Thual a plus d'un argument dans sa poche. Au prix d'une certaine organisation familiale, travailler au pays et vivre à la mer, c'est possible. « Nous travaillons avec ma femme les lundi, mardi, jeudi, vendredi, et moi, le samedi matin une fois sur deux. Je fais mes trente-cinq heures. Le mardi soir, nous repartons avec les enfants, qui sont scolarisés à Bréhan, pour Carnac, à cinquante minutes d'ici. Et puis, nous revenons pour le jeudi et le vendredi. J'ai tous mes mercredis et mes week-ends avec ma famille. J'ai demandé que mon centre de garde soit localisé à la polyclinique de Pontivy. Bréhan se trouve dans une extrémité du secteur, donc souvent les gens ne se déplaçaient même pas. Et puis, cela faisait faire beaucoup de kilomètres, étant donné que la grande majorité des visites sont sur Pontivy. Depuis que je m'organise comme ça, toutes mes gardes sont prises par le même médecin, qui bénéficie en plus du forfait d'astreinte. »
Et puis, se réjouit-il encore, « il faut dire qu'ici on fait de la vraie médecine générale générale. Je suis à quarante pour cent de pédiatrie, j'ai fait mon premier accouchement à domicile cinq mois après mon installation, j'ai pas mal de gynéco... Je pense que j'ai une vie au moins aussi confortable qu'en ville. Qu'on arrête de pénaliser la médecine de campagne. »
(1) Nous consacrerons dans un prochain numéro du « Quotidien » un article de notre correspondant sur cette structure tout à fait originale.
(2) « Profil et devenir des jeunes médecins généralistes en Bretagne ». Disponible sur le site de l'Urcam : www.santebretagne.com
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