C 'EST son frère, avec lequel il partageait sa chambre, qui l'a retrouvé inanimé. Karim, un adolescent de 13 ans, demeurant dans un immeuble HLM de Bourges (Cher), avait passé une ceinture autour de son cou et l'avait attachée au barreau supérieur de son lit superposé. L'équipe du SAMU n'a pas réussi à le ranimer.
Les enquêteurs ont exclu l'hypothèse d'un suicide, estimant que la mort a été causée par le « jeu du foulard », du nom de cette pratique de strangulation qui sévit parmi les préadolescents. Une explication au sujet de laquelle le Dr Marie-France Le Heuzey, interrogée par « le Quotidien », émet les plus expresses réserves. En effet, selon cette pédopsychiatre de l'hôpital Robert-Debré (Paris), qui vient de publier « Suicide de l'adolescent »*, ces pratiques ont le plus souvent pour cadre les cours de récréation ou les toilettes des établissements scolaires, de manière à disposer d'eau pour faciliter la reprise de conscience. En tout état de cause, il s'agit de pratiques de groupe, le « pratiquant » racontant aussitôt ses visions hallucinatoires.
« Il est complètement erroné de parler dans ces affaires d'équivalent suicidaire, dit-elle . Il s'agit en fait de conduites à risque telles qu'on les a toujours observées chez les préadolescents (12-14 ans), sous des formes diverses telles que la conduite de cyclomoteurs sans port du casque, le rodéo automobile, le saut à l'élastique ou la très classique roulette russe. »« Dans tous le cas, c'est le même flirt avec la mort, explique le Dr Le Heuzey : le jeune met sa vie en jeu pour se sentir exister. »
Selon la praticienne hospitalière, ce « coma », ou « sommeil indien », comme on l'appelle encore parmi les aficionados, s'apparente très précisément à une drogue : « Comme pour les toxicomanies à la colle, au cannabis ou l'alcool, l'adolescent goûte à une sensation de voyage, il flotte. » D'où le phénomène d'addiction observé généralement : les pratiquants deviennent souvent « accros », ils « jouent » de plus en plus souvent et ils augmentent la dose, c'est-à-dire la durée de la strangulation.
Des marques et des comportements à repérer
Interrogée à la radio, la mère d'un de ces jeunes disait d'ailleurs avoir noté durant les semaines précédant la mort de son fils des traces suspectes sur son cou. Mais l'intéressé avait déjoué sa vigilance en les mettant sur le compte de réactions allergiques.
D'où l'intérêt d'une surveillance attentive, en particulier dans l'encadrement scolaire. Les marques de ces gestes autoagressifs sont visibles, il est donc primordial de les repérer. Une alerte qui participe de l'action sur les phénomènes d'agressivité à l'école en général, hétéroagressivité comprise.
Quant à l'intérêt d'une diffusion systématique d'information auprès des élèves sur les risques inhérents au « jeu du foulard », le Dr Le Heuzey ne s'y montre guère favorable, compte tenu du phénomène d'attraction qu'il est susceptible d'entraîner chez certains, à l'opposé du but préventif recherché.
« Cette information doit, quoi qu'il en soit, être dispensée auprès des jeunes "rescapés" par le généraliste appelé par la famille, estime la pédopsychiatre. Le médecin doit poser, d'autre part, la question, d'autres addictivités chez l'intéressé, comme on le fait pour tout toxicomane. » « En toute hypothèse, conclut-elle, il est recommandé de l'adresser à un psychiatre. Car la pratique de ce jeu constitue le symptôme d'une carence, notamment sur le plan affectif et une investigation spécialisée s'impose sur ce plan. »
En l'état, les psychiatres semblent rarement saisis de ces « affaires », qui restent donc mal documentées. Aucune donnée épidémiologique n'est vraiment constituée, malgré, notamment, les efforts de quelques familles concernées**. Le phénomène serait pourtant massif, si l'on en croit les proviseurs et chefs d'établissements. Mais, chez les jeunes, l' omerta est évidemment de rigueur et seuls les épisodes entraînant la mort sont connus.
* « Suicide de l'adolescent », par Marie-France Le Heuzey (« le Quotidien » du 23 mai). Une coédition « le Quotidien » - Masson. Ouvrage disponible en librairie ou auprès des Editions Masson au 01.40.46.62.20.
** Une association a été créée avec un site Internet (http://perso.wanadoo.fr/nicolas.ludovic).
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