Le gouvernement Raffarin
On ne doit se poser qu'une question sur la constitution du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin : est-ce qu'il répond à l'urgence du moment et aux attentes de la population ?
Il est toujours aisé de critiquer le savant dosage d'une nouvelle équipe. Le choix des ministres a donné lieu aux tractations habituelles et a retardé une annonce, prévue pour le 6 mai et qui n'a eu lieu que le 7 au soir ; on pourra dire aussi qu'il ne contient pas assez de femmes, mais il y en a, et parfois à des postes importants ; à l'inverse, on notera que M. Raffarin a introduit dans son équipe des personnalités de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile, Jean-Luc Ferry à l'Education en particulier et Francis Mer à l'Economie ; on ne niera pas que le refus du cumul des mandats a été la pierre de touche (empruntée aux socialistes) de la sélection des ministres.
Des symboles
Ce sont néanmoins des symboles : rien ne prouve qu'un ministre venu de la société civile se conduit mieux en politique qu'un politicien ; rien n'indique qu'une femme est préférable à un homme, le seul critère de choix étant l'autorité et surtout la compétence ; rien ne dit qu'un gouvernement restreint à 15 ministres eût été préférable à une équipe de 27 personnes ; rien ne démontre que, s'il avait été annoncé 24 h plus tôt, le gouvernement eût été meilleur ou apportât la preuve de la rapidité de l'action du nouveau Premier ministre.
Il est vrai que les symboles ont de l'importance en la matière. Que Nicolas Sarkozy ait le deuxième rang et s'occupe de la Sécurité intérieure établit une priorité dans les actes de Jacques Chirac. La confirmation de la baisse des impôts de 5 % dès cette année témoigne d'une autre priorité du gouvernement, encore que, pour être mise en uvre, cette mesure doive être approuvée par une Assemblée qui n'existe pas encore.
Ce qu'il faut retenir, comme l'a dit le porte-parole Jean-François Copé, c'est qu'il ne s'agit nullement d'un gouvernement de transition, appelé à changer au lendemain des législatives. M. Raffarin a été désigné pour une tâche à plus long terme, comme si le résultat des législatives était déjà acquis. Là aussi, on ne saurait négliger l'importance du symbole : M. Chirac passe en force, sans que rien, dans son comportement, ne trahisse le moindre doute, fût-il salutaire.
Il en va aussi de la crédibilité de la nouvelle équipe : elle ne pouvait prétendre changer la France en trente jours. Elle veut donner à son action une énergie cinétique qui passera en roue libre sur les législatives. C'est un pari, mais peut-être fallait-il le faire.
Et si le président de la République avait fait mine de tenir compte des élections générales, de s'en tenir à un programme d'un mois, de faire dépendre son train de mesures des échéances de juin, de suspendre l'envol du temps, il aurait été accablé de critiques.
Le rôle de Juppé
La question est donc ailleurs : il s'est produit au soir du premier tour un séisme politique. Réélu comme personne ne l'a été en France, Jacques Chirac a déclaré qu'il avait compris les Français. La forme du gouvernement devrait, en bonne logique, traduire cette compréhension. Il n'en est rien. Tout d'abord, c'est Alain Juppé qui, dans le rôle secret du paria politique contraint à la discrétion mais non dépourvu de son influence, a proposé M. Raffarin à M. Chirac ; c'est le même Juppé qui, toujours dans l'ombre, à établi le savant dosage entre les composantes de la droite, entre les hommes et les femmes ; c'est lui qui a obtenu que le cumul des mandats soit interdit, qui a donc écarté Philippe Douste-Blazy, qui a fait de ce gouvernement à la fois une machine électorale pour gagner les législatives et pour procéder aux profondes réformes dont la France a besoin.
Bien sûr, on ne s'attendait pas à ce que, face à la gravité du moment, M. Chirac formât une sorte de gouvernement de salut public qui aurait forgé une alliance, même provisoire, entre la droite et la gauche. La gauche elle-même n'en aurait pas voulu, qui espère battre la droite aux législatives, car elle sait que la présence du Front national dans de nombreuses circonscriptions sert sa propre cause au détriment des intérêts de la droite classique. Tout au plus pouvait-on souhaiter que les ministres choisis dans la société civile fussent de sensibilité de gauche. Il est clair par exemple que la candidature à peine voilée de Christian Blanc, un as du management, n'a pas été prise en considération.
Convaincre les lepénistes
Pourquoi ? Parce que la stratégie de M. Chirac s'inspire plus du vote du premier tour que des manifestations qui ont suivi, même si elles ont beaucoup contribué à sa victoire. Ce sont les électeurs lepénistes qu'il veut convaincre. Il veut leur donner ce qu'ils réclament, plus de sécurité, moins d'immigrés, un accès à l'emploi et leur montrer qu'ils n'ont pas besoin de Le Pen pour obtenir de telles mesures. Au lendemain du premier tour, tout le monde a eu le vertige. Mais le vertige spécifique de M. Chirac, c'est ce réservoir de suffrages communistes, socialistes, chevènementistes et même trotskystes qui a créé le front de la protestation. Ceux-là, il peut les récupérer avec un programme strictement de droite.
Ensuite, on ne gagne pas les législatives en tendant la main à ses adversaires. M. Chirac, en l'occurrence, en a deux. Il a renoncé au vote de la gauche, qu'il veut rejeter dans l'opposition ; il espère triompher de l'extrême droite en la cantonnant dans son ghetto, en lui interdisant l'accès à la représentation populaire ou en ne laissant passer qu'une poignée de députés FN. Tâche immense, presque irréalisable lorsqu'on regarde la carte électorale où les bataillons du Front forment de grosses tâches qui vont donner beaucoup de fil à retordre aux candidats de la droite et du centre.
Au moins le message à la gauche est-il clair : pas de quartier. Il me faut à moi, Chirac, une majorité. Je ne me soumettrai pas à une autre cohabitation. La gauche, au fond, est d'accord : elle a une bonne chance de gagner les législatives et d'obliger le président soit à cohabiter, soit à se démettre. Partirait-il ? On n'y croit guère. Nous, les électeurs, avons donc notre propre cas de conscience : faut-il prendre le risque d'un nouveau chaos ? Est-il ou non logique, pour ceux qui ne sont ni sectaires ni même affiliés à un parti, de donner sa chance au vainqueur de la présidentielle ?
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