P OUR Jean-Pierre Garnier, qui est à la tête de GSK depuis décembre dernier, le processus d'intégration de GlaxoWellcome et de SB est très avancé, y compris en Europe : la plupart des filiales seront opérationnelles dans deux ou trois mois.
Au plan mondial (siège, direction financière, opérations commerciales, production, communication) tout est déjà en place. La seule exception correspond à la recherche car la création d'un modèle qui n'existait ni chez Glaxo, ni chez SB demandera plus de temps « mais les projets continuent, nous réparons l'aile de l'avion mais il est toujours en vol », souligne Jean-Pierre Garnier.
La croissance, plus importante que la taille
GSK prépare-t-il une nouvelle fusion ? Pour son P-DG, ce n'est ni une urgence ni même une nécessité car avec 7 % du marché, une forte présence commerciale dans 120 à 130 pays, un portefeuille de produits très prometteurs et une recherche très active (500 000 dollars dépensés chaque heure), « GSK n'est pas candidat à des concentrations rapides, comme certains groupes qui en ont impérativement besoin pour assurer leur avenir ». « Cela ne veut pas dire, ajoute-t-il, que nous ne saisirons pas des opportunités, d'autant que notre capitalisation boursière (15e firme mondiale) nous permet d'envisager des acquisitions relativement importantes. Mais des acquisitions ne seront faites que pour créer de la croissance et sûrement pas pour réaliser des économies d'échelles et augmenter notre taille. » Pour le patron de GSK, « un bon candidat serait une firme ayant un portefeuille de produits prometteurs qu'elle ne peut développer de façon optimale ». « Nous n'excluons pas, précise-t-il, des disciplines où nous n'étions pas présents car nous pouvons nous adapter facilement : alors que nous n'étions pas présents en diabétologie, nous avons acquis une place majeure en moins d'un an avec Avandia (plus de 800 millions de dollars, la première année). D'ailleurs, notre propre recherche peut nous conduire dans des directions non prévues, hors de nos domaines d'excellence. »
En ce qui concerne les biotechnologies, Jean-Pierre Garnier a réaffirmé la stratégie du groupe qui est d'internaliser toutes les technologies essentielles qui sont au centre de la création de valeurs. Cela s'est manifesté en 1995 par l'acquisition de la société Affymax, leader dans le domaine de la chimie combinatoire. Ou encore par le contrat de collaboration passé entre SB et Human Genome Sciences pour un accès exclusif aux banques de données concernant les fonctions des gènes. Cependant, Jean-Pierre Garnier estime que toutes ces données sont aujourd'hui intégrées au tissu de recherche de GSK et que des acquisitions de firmes pour disposer de nouvelles technologies, si elles ne sont pas exclues, deviendront très rares.
Pas de rôle dans le diagnostic
Par ailleurs, Jean-Pierre Garnier déclare que son groupe entend se consacrer exclusivement aux médicaments, le métier du diagnostic étant, selon lui, différent de par le rythme de développement et de commercialisation. Ainsi quand il a fallu développer de nouveaux marqueurs de risques vasculaires, la LpPLA2, cela s'est fait dans le cadre d'une joint-venture avec la firme diaDexus, société californienne qui se chargera du développement et de la commercialisation du test diagnostique. Les synergies existent jusqu'à l'individualisation du marqueur, après quoi les métiers du médicament et du diagnostic divergent, estime en effet, le patron de GSK
Internet : s'adapter aux besoins et aux législations
GSK dispose aujourd'hui de plusieurs centaines de sites interactifs, certains destinés au public, « car celui-ci éprouve de plus en plus le besoin d'être informé sur la santé et sur la prise en charge des maladies ». Mais, précise Jean-Pierre Garnier, le groupe ne fera que s'adapter à l'évolution des demandes et des législations en ce qui concerne la distribution de médicaments via Internet « en respectant non seulement ce qui est légal mais aussi ce qui est raisonnable en terme de santé publique ».
Jean-Pierre Garnier fait d'ailleurs remarquer que contrairement à un cliché répandu, la commercialisation de médicaments importés est illégale aux Etats Unis et que dans ce pays, ce qui est illégal n'est pas toléré : le résultat est qu'au plan économique, ce marché est encore marginal.
SIDA en Afrique : les efforts de GSK
Evoquant, par ailleurs, les problèmes posés par l'accès des pays africains aux médicaments contre le SIDA, Jean-Pierre Garnier dénonce la mauvaise foi manifestée, selon lui, par certaines ONG et certains médias qui donnent l'impression de toujours faire le procès de l'industrie pharmaceutique.
Sur le fond, Jean-Pierre Garnier fait remarquer que le problème de l'accès aux médicaments en Afrique n'a rien à voir avec les problèmes de brevets puisque 95 % des médicaments présents sur la liste des médicaments essentiels établie par l'OMS ne sont pas protégés... ce qui ne permet pas pour autant de les trouver.
Par ailleurs, il est faux de dire que l'Afrique du Sud risque d'être privée de copies de médicaments du fait de la procédure en cours (2), car il existe dans les accords TRIPS (accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce) une clause d'urgence médicale qui permet d'échapper aux règles générales et même de s'adresser aux producteurs de produits princeps. L'Afrique du Sud, indique le patron de GSK, a simplement décidé de ne pas faire jouer cette clause, pour l'instant.
J.-P. Garnier espère que l'industrie pourra se sortir de cette mauvaise querelle très rapidement, une querelle qui éclipse les nombreuses initiatives prises par l'industrie et par GSK en particulier. On connaît les initiatives du groupe dans le domaine du SIDA, pour commercialiser des produits avec des baisses de prix de l'ordre de 90 % et pour promouvoir des plans d'intervention cohérents avec les gouvernements ou des associations à but non lucratif. Par ailleurs, l'industrie poursuit ses efforts pour la mise au point d'un vaccin, sans doute la vraie solution à long terme « et pour la première fois je suis raisonnablement optimiste dans ce domaine au vu des résultats précliniques des prototypes de GSK et de MSD », déclare Jean-Pierre Garnier.
On pourrait également citer le programme de coopération lancé par SmithKline Beecham avec l'OMS il y a quatre ans afin d'éradiquer la filariose lymphatique. Un programme qui coûtera un milliard de dollars sur vingt ans. « In fine , il faut se demander combien de firmes font des efforts comparables à ceux de l'industrie pharmaceutique pour aider l'Afrique, s'exclame le patron de GSK. Si tous accomplissaient des efforts équivalents à ceux de l'industrie pharmaceutique, on pourrait parier que la pauvreté aurait beaucoup régressé sur ce continent ! »
Le médicament coûtera de plus en plus cher ... et c'est bien
Bien que Français d'origine, Jean-Pierre Garnier s'exprime avec la franchise d'un Américain de souche, ce qui l'a conduit à dire aux autorités françaises que, pour lui, il est évident que le médicament va continuer à augmenter sa part du marché des dépenses globales de santé, un phénomène qui s'observe dans tous les systèmes quelles que soient les modalités et l'importance du remboursement des médicaments. « En effet, deux phénomènes s'additionnent, sans que l'on puisse rien y faire, note le patron de GSK : la découverte de médicaments, de plus en plus nombreux et innovants, et qui donc coûtent chers et, par ailleurs, le vieillissement des populations qui fait qu'un nombre croissant de concitoyens devra bénéficier de ces soins. »
Plutôt que de lutter contre ce phénomène inexorable, poursuit Jean-Pierre Garnier, il faut le gérer de façon optimale, non pas en attaquant le médicament mais en organisant son utilisation rationnelle, l'industrie devant apporter son aide aux pouvoirs publics dans ce domaine.
Jean-Pierre Garnier estime que le médicament est dans la plupart des cas, la solution la plus efficace et la moins chère en permettant de réduire notamment les frais d'hospitalisation et/ou de soins plus lourds, sans oublier sa participation à la lutte contre les pertes de productivité et l'invalidité. Il cite l'exemple des antidépresseurs modernes qui ont montré leur efficacité dans la réduction du nombre et de la durée des hospitalisations chez les déprimés sévères. Dans la maladie d'Alzheimer, on imagine les économies réalisées en termes d'hospitalisations longues et coûteuses le jour où l'on disposera d'un traitement maintenant les patients relativement autonomes... chez eux.
D'ailleurs, constate le patron de GSK, il n'y a pas de gouvernement qui ne se dise attaché à la recherche et à l'innovation. Encore faut-il, ajoute-t-il, que les textes réglementaires prouvent la réalité de cette volonté politique.
Jean-Pierre Garnier ne veut pas, cependant, s'immiscer dans les négociations devant se faire au niveau national et, en tant que patron de GSK, il ne désire pas commenter les mérites respectifs de tel ou tel système. Pourtant il demande deux choses aux pouvoirs publics des différents pays : tout d'abord, qu'ils reconnaissent les investissements en recherche effectués par les grands groupes, et donc qu'ils admettent la nécessité d'un retour sur investissement suffisant pour développer d'autres activités de recherche ; ensuite, une certaine stabilité de la règle du jeu réglementaire et économique. Il n'a pas dit si cette demande concernait spécifiquement les autorités françaises, mais il est permis de le supposer.
(1) La filiale française de GSK naîtra officiellement le 1er mai 2001, les équipes devant être réunies sur le siège de Marly-le-Roi, en juillet.
(2) Jean-Pierre Garnier fait allusion au procès en cours intenté par 39 firmes pharmaceutiques contre une loi d'Afrique du Sud autorisant l'importation et la production locale de copies de médicaments à bas prix.
Un Français en Amérique
Jean-Pierre Garnier qui est à la tête du deuxième groupe pharmaceutique mondial est né au Mans en 1947. Il est marié à une Française et père de trois filles.
Docteur en pharmacologie et diplômé en sciences pharmaceutiques de l'université Louis-Pasteur de Strasbourg, Jean-Pierre Garnier est chevalier de la Légion d'honneur.
Voilà pour le curriculum vitae français du patron de GSK mais celui-ci ne doit pas cacher un choix « américain » très ancien de Jean-Pierre Garnier, choix d'abord matérialisé par un MBA acquis à l'Université de Stanford en Californie.
Pendant quinze ans, Jean-Pierre Garnier a occupé diverses fonctions, y compris la direction générale de plusieurs filiales au sein de Schering Plough dont il était le président quand il a rejoint SmithKline Beecham en tant que président de la division pharmaceutique pour l'Amérique du Nord (1990). Cinq ans plus tard, il a été nommé président de la division pharmaceutique au niveau mondial avant de devenir le 27 décembre 2000 CEO, autrement dit P-DG de GSK.
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