LE QUOTIDIEN
Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de rédiger ce livre ?
Pr JEAN-PIERRE BADER
Pour témoigner, je dirai même pour supplier. Supplier que l'on stoppe la dégradation de notre système de santé, une des meilleures réussites nationales des dernières décennies.
Pour situer le problème, pour planter le décor. Mille milliards de francs, c'est une information fugitive avant que la conversion en euros de ce chiffre ne lui retire sa puissance symbolique.
Mille milliards de francs, c'est le montant des dépenses de santé des Français atteint et dépassé en l'an de grâce 2001, déterminé en consultant les très officiels « Comptes nationaux de la santé », pour l'an 2000.
Ce montant est obtenu en additionnant les dépenses courantes de santé (assurance-maladie, mutuelles, assurances, ménages, indemnités journalières, prévention, recherche, formation), les dépenses de gestion des caisses maladie, et le petit « supplément » observé par rapport à 2000.
Que dire de ce montant de mille milliards de francs de dépenses observées ?
Qu'il est impressionnant ? Certes. Qu'il est excessif ? Je ne le pense pas, compte tenu du niveau d'exigence de nos concitoyens et de la sophistication des techniques. Qu'il mérite certainement qu'on examine avec une scrupuleuse attention comment cette dépense est effectuée et comment la programmer pour l'avenir.
Devant des budgets aussi impressionnants, le réflexe que je qualifierai de « pavlovien » de tous les gouvernements successifs est, et a été : « Il faut à tout prix freiner cette progression et très particulièrement la dépense collectivisée. »
La priorité que je propose est différente. Elle est : « Examinons si ces dépenses sont justifiées par les avancées de la science médicale et l'état sanitaire des Français. »
C'est l'objectif « qualité » déconnecté de l'objectif économique.
La qualité d'un système de santé peut, certes, se décliner de façon analytique, en additionnant le nombre et la répartition optimale de tous les professionnels de santé sur le territoire, une formation initiale et continue sans défaut, la mise à leur disposition des outils les meilleurs (établissements, appareillages, médicaments, logistique de communication, etc.). Mais la qualité doit aussi s'envisager de façon synthétique par une évaluation individuelle, effectuée par des pairs, de la qualité des actes et des pratiques par rapport à des référentiels reconnus.
Or, tout ou presque est à faire dans ce domaine dans notre pays, malgré une timide ébauche en médecine de ville.
Bien sûr, car je pense que cette fixation des biens et services de santé, pris en charge par la collectivité, dans un souci de solidarité, est au centre de toute la problématique du financement. Mais force est d'admettre, au préalable, quelques vérités que certains refusent obstinément de reconnaître.
Par exemple, que le clivage entre le « pris en charge » par l'assurance-maladie et le « non pris en charge » existe déjà, puisqu'on estime le « pris en charge » à 75 % environ des dépenses totales. Ou encore que ce clivage est loin d'être satisfaisant pour le moment, car la résultante de toute une série de mesures parcellaires, pas toujours justifiées, depuis des années.
Changer de discours
Que proposez-vous pour maîtriser les dépenses de santé prises en charge par la collectivité ? Il faut d'abord changer de discours, cesser de parler de « dérive » quand on calcule cette prétendue dérive par rapport à un objectif de dépenses totalement arbitraire, qui ne repose sur aucune notion d'optimum justifié.
Il faut ensuite choisir avec la population, c'est le rôle majeur du Parlement, quel montant elle estime souhaitable de consacrer à la solidarité de santé, et qui peut être une part croissante du PIB.
L'objectif « qualité » ne sera jamais perdu de vue. On y intègrerait une négociation véritable et permanente de type contractuel avec tous les intervenants du système, sur les tarifs, salaires, honoraires et divers modes de rémunération compatibles avec des responsabilités professionnelles déterminantes pour l'avenir du pays.
Enfin, dès lors que la prise en charge de la totalité des offres de soins s'est révélée impossible et qu'elle est probablement de plus en plus utopique dans l'avenir, la modulation des soins et services demeurant à la charge des assurances complémentaires et des ménages sur des bases objectives, devient un exercice de plus en plus nécessaire à la régulation du système, quitte à exclure de ce système à deux niveaux les très pauvres (CMU) et les très malades (ALD).
Oui, j'en parle pour remarquer avec tristesse que nous sommes dans une situation proche du chaos.
Entre le citoyen qui consomme et utilise le système, et le citoyen qui, par parlementaire interposé, fixe le montant des dépenses prises en charge, qu'y a-t-il ? Une accumulation de structures nationales et régionales, un ministère de la Santé, lui-même Petit Poucet d'un grand ministère social, des directions ministérielles nombreuses, des agences spécialisées, des agences hospitalières régionales, une agence d'évaluation, un haut comité, une conférence nationale et des conférences régionales de la santé, les Caisses nationales et régionales d'assurance-maladie, l'Ordre des médecins, de nombreux syndicats professionnels, etc. Et au bout du chemin, qu'avons-nous ? Un objectif de dépenses prises en charge toujours dépassé et « bricolé » ; des acteurs du système injustement rendus responsables de la croissance des dépenses et pénalisés directement ou indirectement ; des outils de qualité qui restent peu ou prou à l'état de projet ; une élaboration du panier des biens et services pris en charge laissée en jachère car jugée politiquement « incorrecte ».
Quand viendra le moment où nous imiterons M. Blair, qui a décidé d'envoyer ses concitoyens se faire soigner à l'étranger ?
Nous sommes encore meilleurs que nos amis d'outre-Manche. Mais pour combien de temps ?
(1) « Mille Milliards de francs », par Jean-Pierre Bader, Edition de Santé, 49, rue Galilée, 75116 Paris. Tél. 01.40.70.16.15 (23 euros).
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