LE QUOTIDIEN - Quelle importance accordez-vous à l'apparence ?
JEAN PIAT - Un acteur vit essentiellement sur les apparences. Il doit donner l'idée que le personnage qu'il incarne est conforme à la fiction. L'acteur est un menteur qui n'est qu'apparence. Bien sûr, quand il joue seulement ; dans la vie, il n'a pas besoin de ressembler à son personnage. Pourtant, dans la civilisation de l'image où nous sommes aujourd'hui, on demande à l'acteur de ressembler au personnage qu'il incarne. On me reprochait récemment dans la presse de paraître trop jeune pour jouer le personnage des « dernières lunes » ; cela, bien que j'approche les 77 ans. Ce critique théâtral ne s'est intéressé ni à mon jeu ni à mon texte, mais seulement à l'image qu'il avait de moi, non conforme au personnage de la fiction.
En dehors de la scène, quelle est l'importance de l'apparence aujourd'hui ?
Chacun cherche à se donner la meilleure apparence possible et certains n'hésitent pas à employer pour cela tous les moyens disponibles, des cosmétiques à la chirurgie. L'apparence change d'ailleurs avec la mode : il fallait autrefois avoir le teint pâle ; il convient maintenant d'avoir un teint hâlé pour paraître en forme. L'apparence est une valeur sociale essentielle sur laquelle on vous complimente facilement, parfois avec la plus grande hypocrisie.
N'y a-t-il pas un paradoxe entre le fait qu'on vit de plus en plus vieux et que l'on doive paraître de plus en plus jeune ?
Il existe en effet une sorte de psychose du jeunisme ou du rajeunissement ; situation difficile à vivre. L'augmentation de l'espérance de vie est un progrès - la vie reste l'essence de l'être humain. Et il est naturel de chercher à ce que notre passage sur terre soit le plus agréable possible. On ne peut pas non plus demander à l'homme de se résigner à ne pas lutter contre le temps qui passe. Ce combat a toujours existé. Battre un record du monde en athlétisme de quelques centièmes de seconde fait partie de cet effort pour repousser les limites de l'humain. Le génie de l'homme est de lutter perpétuellement contre tout ce qui l'écrase ; la recherche d'une jeunesse prolongée fait partie de ce combat. Il n'est pas question d'empêcher les chercheurs d'imaginer de nouvelles armes pour rajeunir. Reste à savoir utiliser ces progrès. Il va aussi falloir trouver une place dans la société pour la génération du cinquième âge qui se profile.
Quelle est la part de l'apparence (physique) dans l'image que l'on a, ou que l'on donne, de soi ?
Je l'ai dit, nous sommes dans la civilisation de l'image. C'est notre apparence que l'on voit et que l'on juge en premier lieu. Mais, bien souvent, on s'arrête à cette première impression sans chercher ce qu'il y a derrière.Marivaux disait : « La beauté frappe d'abord, le reste émeut et nous attire. » Ce reste-là, aujourd'hui, est négligé. L'apparence est devenue la principale exigence.
Pas de secret, mais des recettes
Jusqu'où profiter des possibilités de rajeunissement ?
On peut lutter, mais on ne gagne pas éternellement contre le temps. Les techniques de rajeunissement, la chirurgie esthétique, pourquoi pas, si cela engendre des allégements psychologiques pour certains. Mais arrive un moment où il faut accepter son âge. Pour moi, rien n'est plus beau qu'une vieille dame qui a l'air d'une vieille dame, et rien n'est plus triste qu'une vieille femme remontée d'un peu partout. Mais c'est une affaire personnelle. Chacun fait le choix qui lui convient. Pourtant, quoi qu'on fasse, la vieillesse s'accompagne toujours d'une réduction des performances. Enfin, je crois que vis-à-vis de ceux qui nous suivent, ne pas accepter de vieillir est une tricherie un peu infantile.
Quel est votre secret pour rester jeune ?
Secret, il n'y a pas. Le fait de ne pas boire trop d'alcool, de ne pas fumer, de manger équilibré et de faire de l'exercice physique maintient en forme. Il y a des coefficients de santé qui se méritent. Rendre régulièrement visite à son médecin généraliste, son cardiologue, son dentiste paraît raisonnable. Le métier d'acteur est un métier physique, qui exige une bonne hygiène de vie. Le Théâtre-Français m'a donné une discipline qui m'a aidé à me maintenir en forme.
Mais refuser la montre ne sert à rien. La vieillesse n'est pas aussi noire que la pièce le montre. Il y a encore des joies possibles. « Les Dernières Lunes » sont un cri d'appel pour le respect de la personne âgée, valeur oubliée de nos sociétés occidentales. En Afrique ou en Orient, le vieux sage a sa place, il ne l'a plus chez nous. C'est donc ce sentiment d'exclusion qu'exprime la pièce. Mais si vous avez encore un peu de sagesse en vous, si vous êtes capable de regarder la nature, de lire, d'écrire, d'exprimer quelque chose dont vous pouvez faire profiter les autres, vieillir n'est pas si terrible que cela.
Formidable injustice entre les hommes et les femmes
Vieillir, est-ce adopter les us et coutumes des nouvelles générations ou est-ce rester fidèle à son temps ?
Il faut essayer de vivre comme on naît et comme on est. Il faut garder ses propres valeurs, qui ont valeur d'exemple pour les générations suivantes. Si l'on essaie de se conformer à tout prix aux nouvelles modes, on perd ses repères. Circuler en trottinette à 77 ans parce que c'est la mode, ou même parce que c'est pratique pour se déplacer dans Paris, serait parfaitement ridicule. Nous avons le devoir, nous, génération passée, de garder nos valeurs et de les illustrer le mieux possible pour que les gens plus jeunes puissent s'en servir comme référence, comme garde-fou ou comme matériau de réflexion et de culture.
Quelle forme prend la peur de vieillir chez un acteur ?
La diminution de la mémoire et du pouvoir de concentration m'inquiéterait beaucoup ; c'est sans doute le symptôme de vieillissement qui me pousserait le plus à me médicaliser. Il m'arrive d'oublier le nom de mes camarades ou leur numéro de téléphone, mais je suis tout à fait capable de retenir le texte d'un auteur dont je comprends le langage, l'articulation, la musique.
Pourtant, dans le domaine de l'âge, il faut reconnaître qu'il y a une formidable injustice entre les hommes et les femmes. Il est bien plus pénalisant de vieillir pour une actrice que pour un acteur. De lui, on dira : « Il a une belle gueule » ; et on lui demandera à elle s'il n'est pas trop dur de vieillir. Il y a peu de rôles pour les femmes âgées, mis à part les sorcières chez Shakespeare.
Bien sûr, quand on a une vie intérieure suffisamment riche, l'apparence a moins d'importance. Mais il ne faut pas oublier que l'acteur dépend avant tout du regard des autres. Et le premier signe de vieillissement, c'est justement le changement du regard que portent les autres sur vous.
*De Furio Bordon, mise en scène par Stéphane Hillel. Théâtre de la Gaîté, Paris
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