L'homme est sans conteste touché dans son honneur et sa dignité : il n'était que de voir Jean-François Mattei, le teint très pâle, les traits tirés, les yeux cernés, le sourire crispé, à la sortie du Conseil des ministres de jeudi dernier pour se rendre compte que le ministre de la Santé était fortement meurtri par les accusations de laxisme et de faiblesse lancées par ses adversaires politiques, ce qui est logique, et par certains de ses « amis » de la majorité, ce qui l'est moins, mais aussi et surtout par des médecins et des hospitaliers, ses confrères d'hier, qui lui ont parfois reproché, vertement, de n'avoir pas su gérer la crise sanitaire qui a causé la mort de plusieurs milliers de Français provoquée par la canicule du mois d'août. Même la démission du directeur général de la Santé, qui peut apparaître comme une victime expiatoire, lui est aujourd'hui reprochée, alors que certains réclamaient plutôt le départ du ministre de la Santé. Sale temps décidément pour Jean-François Mattei, qui, cependant, selon des ministres participant au Conseil, a redit devant le président de la République qu'il avait « fait ce qu'il fallait » et que la mortalité importante des personnes âgées, pouvait, le ministre l'a répété, s'apparenter « à une épidémie ».
Il n'est pas certain que cette défense soit la meilleure, ni qu'elle soit comprise de l'opinion, qui n'aura pas été convaincue non plus par les mises en cause répétées, des 35 heures à l'hôpital pour expliquer (sinon justifier), en partie du moins, les morts de la canicule.
Le problème de l'APA
Et l'opposition a aujourd'hui beau jeu de rappeler que c'est le gouvernement Raffarin qui a réduit la portée de l'APA, Allocation personnalisée d'autonomie, destinée aux personnes âgées, et mise en place par Lionel Jospin ; de la même manière, socialistes, communistes et Verts dénoncent la baisse des crédits accordés aux maisons de retraite pour embaucher des personnels soignants. Enfin, le manque de précision de l'intervention du chef de l'Etat, concernant notamment l'octroi de nouveaux financements en faveur des personnes âgées, a été pain bénit pour les opposants à la politique gouvernementale. Ils ont trouvé là une nouvelle occasion de dénoncer une politique, qui, disent-ils, ignore toute forme de solidarité envers les plus faibles et les plus démunis.
Il est vrai que cette crise sanitaire, et ses retentissements, arrive au plus mauvais moment pour le gouvernement et le ministre de la Santé. La conjoncture économique n'arrange pas les choses et a rarement été aussi morose pour ne pas dire mauvaise. Les dernières statistiques de l'INSEE sont mêmes catastrophiques puisqu'elles font état du recul de la croissance au deuxième trimestre, un recul plus important que prévu. Mais surtout la récession menace. Selon l'Office européen des statistiques, Eurostat, trois pays européens, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas, sont déjà entrés en récession et la France pourrait ne pas y échapper. Ce qui compliquerait singulièrement la tâche du gouvernement qui ne disposerait pas d'une marge de manuvre pour desserrer les cordons de sa bourse et faire taire les revendications de tous les professionnels touchés par la sécheresse et la canicule.
Le monde de la santé ne doit donc guère s'attendre à des générosités particulières, d'autant que le président de la République n'est pas disposé à renoncer à ses allégements fiscaux, promesse électorale oblige.
Dans ce contexte, on s'interroge sur la réforme de la Sécurité sociale que le gouvernement veut toujours commencer à mettre en chantier dès cet automne. Mais il devra faire preuve de beaucoup d'habileté en la matière. Certes, la dérive des comptes constatés encore dans les dernières statistiques de la CNAM impose au gouvernement l'adoption rapide de mesures. Le déficit cumulé 2002-2003 de l'assurance-maladie dépassera les seize milliards d'euros. Une crise qui réclame des remèdes de cheval. Mais il sera bien sûr hors de question, après la crise sanitaire actuelle, de réduire les moyens de l'hôpital au risque d'une impopularité suicidaire alors que des élections (régionales et européennes) se dérouleront en 2004.
Que restera-t-il alors au gouvernement ? Certes, les déremboursements de médicaments pourront produire quelques économies. Certes, l'idée d'un forfait imposé sur chaque feuille de soins est toujours envisagée. Certes, l'augmentation des prélèvements et de la CSG, malgré les démentis réguliers du gouvernement, peuvent être décidés. Mais cela fait-il une réforme ? Il s'agit, expliquait M. Mattei, de changer le comportement des patients. Pourra-t-il maintenant en convaincre les Français alors que le gouvernement et le ministre de la Santé n'ont pas su gérer, selon eux, la crise sanitaire de cet été ? Affaibli, Jean-François Mattei aura bien du mal à défendre sa cause. Et certains, même à droite, mettent en cause sa capacité, dans l'état actuel des choses, à défendre ce texte. Et déjà la discussion, à l'automne, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2004, devant les députés et sénateurs, s'annonce agitée. Il est clair que les effets de la canicule troubleront pendant un certain temps encore les projets du gouvernement, ne serait-ce qu'en matière de santé et de Sécurité sociale.
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