La santé en librairie
Quels que soient les bouleversements induits par la « révolution sociale » actuelle, quelles que soient les contradictions qui s'y affrontent, entre liberté et responsabilité, entre économie et solidarité, « il nous faut trouver des règles communes pour tisser un lien dont dépend notre existence sociale ». Le Pr Jean-François Mattei n'est manifestement pas de ceux qui renoncent face aux difficultés évidentes de l'opération. Son dernier ouvrage, bref, souligne avec netteté quelques-unes de ces incohérences dans lesquelles notre société baigne, non sans une bonne dose de passivité.
Ce sont d'abord ces ftus de plus en plus présents dans la vie des parents, grâce à l'échographie en particulier, comme dans les préoccupations et les actes des soignants, qui ne se voient pourtant accorder aucune existence sociale, ne fût-ce que par une mention sur un livret de famille : mort-nés, tués lors d'un accident survenu chez leur mère, ils ne sont alors que déchets hospitaliers. « Que vaut un raisonnement à sens unique qui admet le droit d'interrompre sa grossesse et refuse celui de reconnaître son enfant mort-né ? », s'exclame le pédiatre, déçu de la réaction négative des parlementaires devant l'amendement qu'il leur avait présenté en faveur de la reconnaissance possible du ftus mort-né ?
La néonatalogie a donc successivement fait du nouveau-né, puis du ftus, un héros, et la médecine entoure d'autant plus ces tout-tout-petits qu'ils sont malades. Est-ce selon la même logique que l'on jette à la poubelle ce ftus si choyé avant sa fin prématurée et que l'on abandonne les mères et les bébés dès la sortie de la clinique, sortie de plus en plus volontiers précoce ? Le Pr Mattei a en tout cas beaucoup à dire de la médicalisation de la grossesse, trop souvent source d'inquiétudes pour les mères, ou de la logique hôtelière et économique envahissante qui s'ajoute aux diktats du pathologique pour chasser de la maternité les jeunes mères. Insécurisées, fragilisées par l'épreuve psychologique de l'accouchement, ne sont-elles pas certes surinformées en théorie, mais abandonnées en pratique ?
Casse-tête
A ce stade, on espère pour elles qu'elles ont résolu le problème crucial de la garde du bébé. C'est souvent un « véritable casse-tête », une « galère », montre le pédiatre. A l'insuffisance en nombre des crèches, à leur inadaptation aux horaires décalés de tant de femmes, aux risques infectieux qu'elles présentent, le pédiatre ajoute les places accordées de préférence aux parents dont les revenus peuvent équilibrer les comptes et les tendances bagarreuses des enfants après séjours prolongés en crèche. L'assistante maternelle idéale n'est pas si facile à trouver et la garde partagée à domicile n'est pas à la portée de tous.
S'ils ont réussi à passer victorieusement ces épreuves, les parents actuels ne sont pas sortis d'affaire pour autant. Les chiffres leur disent tous les risques - accidents, suicides, consommation de produits dopants ou stupéfiants - qui menacent leurs adolescents . Les explications se bousculent : manque de repères dans un monde dur et mouvant, familles « dissociées, déracinées, éprouvées », désengagées, Education nationale dépassée par la masse des demandes, difficultés à assumer des libertés démesurées pour l'âge...
Nos sociétés, dont les succès médicaux permettent la survie de personnes malades ou handicapées en nombre croissant, ne sont pas plus logiques sur ce sujet. Sans doute faudrait-il déjà parvenir à donner une définition du handicap, alors que la composante sociale y tient tant de place. Si l'on s'en tient aux estimations de l'INSEE, soit 5 millions de personnes handicapées, l'effort actuel, qui porte le budget qui leur est consacré à 2 % du PIB, paraît « encore notoirement insuffisant ». Le pédiatre évoque les portes d'école qui se ferment devant les enfants trisomiques, les enfants et les adultes polyhandicapés à la recherche d'un lieu adapté, les autistes internés en hôpital psychiatrique, l'obligation d'emploi mal respectée en particulier par l'Etat, les difficultés des associations, l'accessibilité des bâtiments restée à l'état de loi. Et trente ans de génétique médicale ont mené l'auteur à s'interroger sur l'évolution des exigences vers la normalité de l'enfant programmé. Vis-à-vis des personnes âgées, l'illogisme est comparable : on vit de plus en plus vieux, sans que nos sociétés aient su adapter leurs systèmes de retraite et de prise en charge et de soutien des personnes dépendantes.
Offrir transition ou répit
Le député ne se contente pas de ce triste bilan d'incohérences sociales, finalement bien connues dans leurs grandes lignes sinon dans leur détail. Il envisage aussi des solutions, sans perdre de vue pour autant l'ampleur des difficultés. Méfiant devant les solutions standard - ou miracles -, il propose par exemple des maisons maternelles, des « classes passerelles » offrant respectivement aux jeunes mères et aux petits enfants une « transition », des maisons médicales réservées aux adolescents, la mise en application des textes existant en faveur des personnes handicapées ou des « séjours de répit » en maisons spécialisées pour les personnes dépendantes maintenues à domicile grâce à leur famille.
Tout député qu'il soit, le Pr Mattei aspire moins à promouvoir de nouveaux textes de loi qu'à faire passer un peu de « réalisme et de volonté » dans la tête de ceux qui ont quelque pouvoir pour faire appliquer les « textes pétris de bonnes intentions » qui existent à peu près dans tous les domaines.
« Santé sociale : ces absurdités qui nous entourent », Pr Jean-François Mattei, éditions Anne Carrière, collection Conviction, 124 pages, 70 F (10,67 euros).
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