Cela fait des lustres que l'on n'a pas vu un ministre chargé de la Santé ou de l'assurance-maladie en telle odeur de sainteté auprès des professionnels du secteur. Il faut remonter jusqu'à Philippe Douste-Blazy, qui surfa en son temps sur une belle vague de popularité, pour retrouver un climat semblable.
Fêté beaucoup par les médecins libéraux, bien accueilli par les caisses et les mutuelles, jusqu'à présent épargné par les hospitaliers comme par les industriels du médicament, Jean-François Mattei est sur un petit nuage depuis quatre mois qu'il s'est installé Avenue de Ségur. Les rares bulles de critiques, quand elles se forment et parviennent à voler jusqu'à ses oreilles, voire jusqu'à celles du grand public, glissent sur lui sans laisser de traces. Les spécialistes libéraux peuvent bien, en toute courtoisie il est vrai, fermer les uns après les autres leur cabinet : l'opération fait « pschitt ». Même la presse, qui ne s'est pas privée ces dernières semaines de mettre le doigt là où ça fait mal (déficit de la Sécurité sociale, « malaise » des hôpitaux, faiblesses des urgences...), n'a pas entamé d'un iota la cote du ministre.
Un bain de bienveillance
Les louanges qu'il récolte, Jean-François Mattei ne les doit pas à une attitude de retrait. Au contraire, puisqu'il est sur tous les fronts. Prend position sur les questions sensibles - celle du désengagement des assureurs du risque médical, par exemple (voir page 7). Se rend en personne aux colloques organisés dans le secteur, là où d'autres auraient volontiers envoyé un représentant : il y a dix jours, il était au Mans avec les médecins et les directeurs de centre hospitalier, puis prononçait à Ramatuelle le discours de clôture de l'université d'été de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français). « Pour vivre heureux, vivons cachés » n'est en rien la devise choisie par l'actuel ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées. Et il s'en porte comme un charme. D'où vient, alors, le miracle ?
Peut-être en partie de ce que la santé n'occupe pas le devant de la scène politique, et que Jean-François Mattei s'en trouve relativement protégé. Lors de sa rentrée télévisée, alors qu'était toute fraîche l'annonce des mauvais résultats des comptes de la Sécurité sociale, le chef du gouvernement, pourtant dûment interrogé par les journalistes, n'a consacré que des miettes de son discours aux questions sanitaires : une pincée d'hôpital, une once de régionalisation. Sans commune mesure avec ses préoccupations sécuritaires ou internationales.
Autre explication : à l'instar de l'ensemble des membres de l'équipe de Jean-Pierre Raffarin, le ministre de la Santé se trouve plongé dans un bain de bienveillance relative (d'apathie ?) qui dépasse largement les murs de son ministère - il tire avantage, au moins à l'hôpital, de la faible combativité des centrales syndicales -, mais cela n'explique pas tout. C'est surtout l'attitude de Jean-François Mattei vis-à-vis du monde de la santé qui se révèle payante. Et pour cause. Car quand on y regarde de plus près, on se rend compte que depuis le mois de juin, du haut de son nuage, le ministre a distribué beaucoup d'argent.
En ville, les généralistes ont obtenu le C à 20 euros (coût de l'opération, 900 millions d'euros), le V à 30 euros, les actes des pédiatres ont été revalorisés, les pénalités contre les spécialistes en secteur I ont été abolies et les tout derniers outils de la maîtrise comptable (comités médicaux régionaux - CMR - et lettres clés flottantes) disparaissent du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2003. Le ministre a déjà fait savoir qu'il n'était pas hostile à l'ouverture de nouveaux espaces de liberté tarifaire.
Le plan médicament :
pas si cruel
Un temps effarouché par l'annonce d'un « moratoire » sur son passage aux 35 heures, l'hôpital, lui aussi, a été plutôt bien loti. En juillet, le ministre a fait cadeau à l'institution de 70 millions d'euros ; il a annoncé que 300 millions supplémentaires en alimenteront les caisses l'an prochain, en plus de la dotation hospitalière « classique » - laquelle, vraisemblablement, ne mettra pas les établissements à la diète.
L'industrie pharmaceutique elle-même n'est peut-être perdante qu'en apparence dans le plan médicament annoncé il y a quinze jours par Jean-François Mattei. Le tarif de référence ? L'opération pourrait être au bout du compte beaucoup moins sévère que ce que pouvaient laisser penser les premières indications : seuls certains groupes généricables - et pas tous - seraient concernés - et sans doute pas d'autres classes thérapeutiques (voir page 9). Quant aux déremboursements des spécialités pharmaceutiques dont le service médical rendu (SMR) n'a pas été jugé suffisamment efficace, il va se faire progressivement (en trois ans) et une réévaluation des SMR par la commission de la transparence est déjà programmée qui pourrait restreindre les effets de cette mesure.
Les laboratoires devraient également obtenir par un amendement introduit lors de la discussion parlementaire du PLFSS, l'inscription dans la loi du principe de l'accord qu'ils signent avec le comité économique du médicament, ce qui devrait leur éviter les mauvaises surprises de cours d'année. Sur ces trois points, l'industrie pharmaceutique limite donc la casse. Surtout, elle reprend largement d'une main ce qu'elle a perdu de l'autre grâce à la liberté de prix : elle a arraché au gouvernement la possibilité de fixer elle-même les tarifs des médicaments innovants - ASMR I et II, amélioration du service médical rendu - pendant au moins six mois.
Des missions à la pelle
Jusqu'à présent, sauf en paroles et toujours en y mettant des formes « raffarines », Jean-François Mattei n'a pas réclamé grand-chose en échange de toutes ces largesses. Les décisions qui fâchent ont été repoussées entre autres grâce à l'arme redoutable de la missionnite aiguë. La liste est longue des ateliers, groupes de travail, chargés d'audit... installés depuis quatre mois. La réduction du temps de travail des médecins et personnels hospitaliers ? Une mission d'évaluation fera le point le 31 octobre. La démographie médicale ? Diagnostic et propositions le 15 novembre. Le 15 novembre également atterrira sur le bureau du ministre un état des lieux sur les relations entre l'Etat et l'assurance-maladie. La formation médicale continue ? Réponse le 1er décembre au plus tard. La permanence des soins ? Elle fera l'objet d'un rapport le 15 décembre. L'an prochain, rebelote.
La redéfinition de la place de la solidarité nationale est au programme. Les moyens de médicaliser l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) aussi, qui seront décortiqués au cours du premier trimestre. Une mission se chargera d'expérimenter dans les hôpitaux et les cliniques des simulations de tarification à la pathologie. Un rapport sur la périnatalité est commandé pour la fin du mois de juin... Simultanément, une dizaine d'équipes planchent donc sur des dossiers de fond, sur des questions au tournant desquelles le ministre est en fait très attendu par les professionnels. L'avenir de la garde, la rétribution des hôpitaux à l'activité, la démographie et la question de l'installation des médecins, le financement des 35 heures à l'hôpital... autant d'occasions de trébucher pour Jean-François Mattei.
Sans parler de la caisse de résonance que représente la négociation conventionnelle qui doit s'ouvrir très bientôt entre les médecins libéraux et les caisses d'assurance-maladie. Des discussions qui auront à peine trois mois pour aboutir et au cours desquelles doivent être tranchées des questions aussi sensibles que la régulation médicalisée des dépenses de la ville ou la revalorisation de l'ensemble des actes médicaux (pour la mise à niveau de leurs honoraires, les spécialistes présentent tout de même à eux seuls une addition de un milliard d'euros).
Le ministre, dont d'aucuns se plaisent à souligner qu'il est un scientifique et pas un gestionnaire, s'est donné un peu de mou. Mais la corde à l'extrémité de laquelle il a accroché problèmes à résoudre et réformes à engager est courte. L'état de grâce ne durera pas éternellement. Le courage politique voudrait qu'il soit mis à profit pour entrer sans tarder dans le vif du sujet.
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