ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
A PRES le foisonnement des expériences picturales du début du XXe siècle, l'art se remet en question. Toute la vie artistique alors se place sous l'influence de Marcel Duchamp dans l'ambition de quitter le champ pictural, et sous celle de Dubuffet lorsqu'on entend rester fidèle à la peinture dans sa spécificité.
Mais Dubuffet n'est pas que l'homme d'une uvre, si importante soit-elle, il est aussi celui d'une pensée et d'une « politique » culturelle qui privilégie l'art des marges. Ce sera « l'art brut » dont il se fait le chantre. Il est au carrefour de tous les grands mouvements artistique de l'époque, du surréalisme à Cobra, dans une volonté reconduite, de donner à l'homme les moyens de s'exprimer par tous les procédés possibles, fussent ceux de l'inconscient, de la naïveté, dans un souci de fraîcheur et d'authenticité. L'art de Dubuffet, comme celui de Gaston Chaissac, auquel il doit beaucoup, défie tous les académismes, il affronte la réalité de la matière, lui redonne ses lettres de noblesse et privilégie une sorte de rêverie à la Bachelard, un ton narquois dans le sillage du graffiti dont il a redécouvert le pouvoir poétique.
L'exposition se présente comme une suite de séquences (« Préhistoire », « Marionnettes et Mirobolus », « Portraits », « Les corps de Dame », « Petites statues de la vie précaire », « Célébration du sol », « Paris-Circus », « L'Hourloupe », « Théâtre de Mémoire », « Mires et Non-lieux ») illustrant l'étonnante diversité d'une démarche qui reste cohérente dans son développement et fidèle à ses principes. La série des portraits (Paulhan, Artaud, Michaux, Ponge) pose d'emblée cette uvre dans le climat littéraire qui l'accompagne et la parraine.
Un hommage à l'homme de peu
C'est à la galerie René Drouin, que le peintre a exposé pour la première fois. René Drouin à qui une riche exposition documentaire est consacrée par le musée de l'Abbaye Sainte-Croix aux Sables-d'Olonne (jusqu'au 7 octobre).
L'amitié (et le soutien) de Jean Paulhan fut alors l'amorce d'une carrière qui germe sur un terreau particulièrement favorable. Débutant, Dubuffet est confronté aux uvres d'artistes majeurs de cette révolution picturale de l'après Libération (Fautrier, Wols, Michaux, Mathieu, Brauner, Max Ernst), le situant dans une conjugaison poétique du surréalisme et des forces novatrices de l'art abstrait qui décline toutes ses possibilités sous les termes aujourd'hui homologués par l'Histoire de l'art : tachisme, informel, matériologique.
La galerie René Drouin est alors un véritable laboratoire d'expériences où, avec la complicité de Michel Tapié, la conduite d'une politique audacieuse sort le paysage artistique de sa médiocrité. Une dynamique qui retrouve l'inventivité des révolutions culturelles qui suivaient la
Première Guerre mondiale, dont le mouvement « dada », comme si après chaque conflit remettant la société en question, la seule voie pour l'avenir passe par la protestation, la contestation de valeurs démonétisées.
L'uvre de Dubuffet est à considérer sous cet angle. Un signe de vitalité de la pensée face aux académismes régnants, à des habitudes sclérosantes.
Son uvre est exceptionnellement abondante (10 000 numéros à son catalogue, sans compter l' uvre écrite d'une verve éblouissante, d'une férocité de moraliste et singulièrement lucide). Passant d'une « série » à une autre, il balaye tout le paysage d'une poétique fort attachée à la réalité première, celle du macadam et de l'innocence, comme un hommage à l'homme de peu à qui il donne le droit de figurer dans l'espace de l'art, jusqu'alors réservé à l'homme de qualité. Car il donne de la qualité à la plus modeste chose, aux laissés pour compte, préfigurant aussi cet attrait accru pour la décharge publique. Même le nouveau réalisme, ce courant de l'art retrouvant la réalité urbaine, les vices de la consommation, lui doit la primeur de ce regard qui fut unique. Chantre des objets de « la vie précaire », il est celui du temps de la perte de sens des valeurs jusqu'alors reconnues. Un visionnaire de cette « fin de siècle » dans laquelle la société ne cesse de patauger.
Dubuffet, l'exposition du centenaire. Centre Beaubourg. Jusqu'au 31 décembre.
René Drouin, le spectateur des arts. Musée de l'Abbaye Sainte-Croix, aux Sables-d'Olonne. Jusqu'au 7 octobre. Un catalogue très documenté.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature