LE QUOTIDIEN DU MEDECIN
Le passage de la consultation à 20 euros permettra-t-il de régler le différent qui existe désormais depuis plusieurs années entre les médecins et les caisses d'assurance-maladie ?
JEAN DE KERVASDOUE
Oui et non.
Oui à court terme, parce que cela peut être interprété comme un signe de bonne volonté du gouvernement et des caisses. Non, car cette affaire est la partie émergée de l'iceberg et que les médecins posent simultanément plusieurs questions : celle de leur rôle dans une double division du travail entre généralistes et spécialistes d'une part, entre médecins et autres professionnels de santé d'autre part, celle de la maîtrise des dépenses et des responsabilités respectives des médecins et des patients dans ce domaine, et enfin celle de leur formation initiale et continue.
Il y a une discussion globale à avoir sur tous ces points dont il serait vain de penser qu'on en sortira en trois jours ou même en trois mois. Mais pour avoir cette discussion, il faut ce geste de bonne volonté que représente la consultation à 20 euros. C'est un peu comme au poker, une « mise pour voir ».
L'assurance-maladie et le gouvernement peuvent-ils cependant, à court terme, assumer le coût de cette revalorisation et de quelle façon ?
De toutes façons, avant même cette revalorisation, le déficit de l'assurance-maladie devait atteindre cette année entre 4,5 et 5 milliards d'euros. Le coût de l'augmentation de la consultation ne représente donc « que » 10 % du déficit actuel. Il serait donc inexact de dire qu'il est lié à cette revalorisation. Le gouvernement a déjà un problème majeur de financement de la Sécurité sociale qui risque de s'aggraver en 2002 et 2003. Car si, cette année, les branches famille et retraite devraient être en léger excédent, le déficit global va avoisiner les 3 milliards d'euros. Et dès l'année prochaine, il y aura 150 000 personnes en plus qui partiront à la retraite, la génération du baby-boom.
Une augmentation de la CSG vous paraît donc inéluctable ?
Je pense que oui. Sinon, la seule alternative c'est la CRDS (1). Le grand danger, c'est que l'on essaie une fois de plus de mettre la poussière sous le tapis. Ce seraient alors les générations futures qui paieraient la facture. Trois milliards d'euros, c'est déjà lourd, mais ce ne sera rien en comparaison du déficit de l'année prochaine.
Les engagements exigés par la CNAM en matière de médicaments génériques et de prescription d'antibiotiques ne seront-ils pas suffisants pour financer la revalorisation de la consultation ?
Ils peuvent l'être, mais la question est : de quelle nature seront ces engagements ? Il n'existe à ce jour aucun mécanisme qui assure que ces engagements seront tenus à moins que la négociation n'en crée de nouveaux. Tout le monde convient aujourd'hui que l'on peut faire baisser la consommation pharmaceutique. Mais concrètement, comment fait-on ? Les RMO n'existent plus, les structures de gestion du risque n'ont pas de pouvoir de sanction. A mon sens, si on ne change pas les conditions structurelles de rémunération et de prescription des médecins, cela ne marchera pas. Quand un médecin est devant son patient, son souci premier n'est pas naturellement de faire baisser le coût de sa prescription. Sans engagements et contrôles, il suffit que quelques-uns ne jouent pas la règle du jeu pour que les autres ne la respectent pas longtemps. Il faut donc traiter la question de manière non démagogique et prendre du temps. Des tas de mécanismes existent mais on est, pour l'instant, loin de tout ça.
A long terme, l'enjeu est bien la mise en place d'un nouveau dispositif de maîtrise des dépenses de santé. Après les reversements et les lettres clés flottantes existe-t-il, selon vous, une solution idéale dans ce domaine ?
Il faut d'abord ne pas confondre croissance des dépenses de santé et maîtrise. Il y a des raisons objectives à la croissance des dépenses de santé. La maîtrise des dépenses, c'est s'assurer que chaque euro est bien dépensé. Le problème n'est donc pas de faire baisser les dépenses. En revanche, il est possible de faire baisser le volume des prescriptions pharmaceutiques. Les chiffres sont connus : aux Pays-Bas, 30 % des consultations sont suivies d'une ordonnance alors qu'en France ou en Italie, la proportion est de 95 %. Il faut donc une incitation positive au paiement au temps et un contrôle des pratiques. Je suis persuadé en tout cas qu'il n'existe pas de solution magique ou simple sur le plan conceptuel, comme les lettres clés flottantes. Il y a des méthodes que l'on connaît bien qui tournent autour de la gestion du risque ou de la maîtrise médicalisée des dépenses. Mais on en parle d'autant plus facilement dans ce pays qu'elle n'existe pas. Elle est à mon avis plus rude que la maîtrise comptable. Il est en tout cas indispensable de retrouver un accord entre le corps médical et la société française.
Depuis 1925, date à laquelle les fondements de la médecine libérale ont été posés, un accord ne s'est produit qu'une seule fois en 1971, lors de l'élaboration de la première convention. Il faut donc prendre du temps, définir un calendrier de négociations, avoir des débats publics. Tout ça, je le répète, ne se fera pas en trois jours.
(1) Contribution pour le remboursement de la dette sociale.
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