NON SANS prétention, il disait avoir « anticipé tous les mouvements modernes », avoir compris le premier, et bien avant les impressionnistes, « la forme de la lumière, les déformations qu’elle fait subir à la ligne ». Il avait l’ambition d’être le chef de file d’un courant plastique (ce qu’il réalisa en partie, puisqu’il participa à la création du groupe des XX, aux côtés de Félicien Rops, Théo van Rysselberghe, Léon Spilliaert…). Ombrageux et rancunier, il n’accepta jamais les critiques que l’on fit de ses uvres, notamment celles présentées au Salon des XX de 1887 (la série de dessins mystiques et fantastiques appelée « les Auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière ») et qui reçurent un accueil réservé.
On l’aura compris, la modestie ne fut jamais le fort de James Ensor. Mais on aurait tort de le déplorer, car cette arrogance et cette rancur vis-à-vis de ses contemporains semblent avoir nourri la fougue de son pinceau, son inspiration dévorante, ses visions décapantes et acides du monde moderne. Ensor expliqua d’ailleurs que, s’il donna naissance à des masques grotesques, à des figures terrifiantes – parmi lesquelles les célèbres squelettes –, à des parades de personnages simiesques, ce fut pour choquer davantage encore ses contempteurs et pour caricaturer les travers de son époque. Ces uvres-là partent de 1883 et succèdent aux sujets naturalistes et aux scènes de genre lumineuses et placides, réalisées à Ostende par le peintre dans sa prime jeunesse, et sur lesquels s’ouvre l’exposition.
Double.
Dans ces dernières années du XIX e siècle, la verve d’Ensor est à son comble. L’acidité et la virulence du trait, radical et sans concession, se lisent dans ces cortèges de figures à la fois risibles et effrayantes. Les couleurs violentes, « choquantes », même, parfois, sont comme un feu d’artifice insoumis. La mort est omniprésente et accompagne ces carnavals turbulents (« Étonnement du masque Wouse », « Squelettes se disputant un hareng saur », « la Mort et les Masques », « Squelette peintre », « Masques raillant la mort », etc.).
Dans ses troublants autoportraits, réunis dans une salle de l’exposition, Ensor revisite tous les codes du genre. Il se grime et se métamorphose à l’envi, il se représente dans tous les états, tantôt jeune homme aimable, tantôt figure neurasthénique, tantôt en animal, tantôt en squelette, ici dans une gloire imaginaire, là désarmé et ridicule… Cette représentation obsessionnelle de son moi traduit un sentiment de persécution, un délire paranoïaque qui le rend plus humain, plus fragile et attachant. Aux années d’arrogance succède le doute.
Ensor est double, comme un masque à deux têtes. Son uvre, profondément singulière et inclassable, repose sur cette ambivalence : le grotesque y épouse le merveilleux, l’onirisme s’y conjugue avec la réalité la plus triviale, dans un mélange d’expressivité et de gravité, de gaieté sarcastique et de désespérance.
Musée d'Orsay, tél. 01.40.49.48.14. Tlj sauf lundi, de 9 h 30 à 18 heures (jeudi jusqu’à 21 h 45). Jusqu’au 4 février. Catalogue, coédition musée d’Orsay/Réunion des musées nationaux, 288 pages, 48 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature