C'est au moment même où le gouvernement et les partenaires sociaux tentent de rénover - de refonder, pour reprendre le jargon en vogue - le système conventionnel régissant les relations entre l'assurance-maladie et les praticiens libéraux que disparaît celui qui fut l'un des pères de ce système, l'un de ses plus inlassables partisans, l'un de ses plus talentueux avocats.
A la présidence du principal syndicat de médecins libéraux durant vingt ans, de 1961 à 1981, le Dr Jacques Monier ne perdit jamais de vue le sens de son combat : tenter de concilier un système de soins reposant sur la pratique libérale de la médecine de ville et un système d'assurance-maladie socialisé garantissant à tous les patients la prise en charge de leurs soins. Exercice difficile s'il en fut tant les exigences du social et celles du libéral peuvent paraître s'opposer, tant la légitimité médicale et la légitimité économique peuvent sembler contradictoires.
Syndicaliste avant tout, le Dr Jacques Monier n'eut de cesse de défendre les intérêts matériels - corporatistes disaient ses adversaires - du corps médical. Il n'hésita jamais, quand cela lui semblait opportun, à s'engager dans de durs conflits avec les gouvernements ou la Sécurité sociale. Mais jamais il ne perdit de vue sa préoccupation capitale : parvenir à mettre en place une médecine à la fois sociale et libérale.
Fils d'un haut fonctionnaire des finances, Jacques Monier commença sa carrière comme médecin de campagne à Neubourg (Eure), avant de rejoindre à Evreux un cabinet de groupe à l'époque où ce type d'exercice, marginal, sentait le soufre et faisait figure d'apostasie médicale aux yeux de l'Ordre des médecins. Très vite, le généraliste s'engagea dans le combat syndical, rejoignit les rangs de la CSMF et en devint, en 1961, président. C'est l'époque où le système de soins est régi par des conventions médicales signées - ou non - au niveau départemental par les syndicats et les caisses d'assurance-maladie. Un mécanisme qui est loin de garantir un libre accès de tous aux soins et des remboursements équitables.
Une réforme majeure
Ce système était insatisfaisant aux yeux du Dr Monier. Il consacra dès lors toute son énergie à l'élaboration d'une convention nationale unique entre les médecins libéraux et la Sécurité sociale. Cela fut chose faite en 1971. Et ce fut sans doute l'une des réformes majeures de la politique de santé durant ces cinquante dernières années. D'abord parce tous les médecins libéraux étaient automatiquement engagés par cette convention nationale qui fixait des tarifs d'honoraires et qui n'autorisait que certaines possibilités de dépassement. Seuls les praticiens qui refusaient expressément cet accord étaient déconventionnés. Ils ne furent qu'une infime minorité à faire ce choix. En contre-partie, les praticiens conventionnés bénéficiaient d'avantages sociaux qui demeurent largement en vigueur aujourd'hui. Le tout avait été précédé, également en 1971, d'un « engagement national » du gouvernement garantissant l'avenir de la médecine libérale.
Son principal objectif étant atteint, le Dr Monier fit dès lors son travail de syndicaliste, en s'engageant dans de nombreux conflits pour la revalorisation des honoraires, en ferraillant avec les caisses d'assurance-maladie, en se mobilisant lorsque la CNAM essaya, dans les années soixante-dix, de créer des centres de santé gérés par la Sécurité sociale et qui faisaient figure, aux yeux de la CSMF, de machine de guerre contre les cabinets des libéraux.
L'épreuve de force avec le gouvernement Barre
Mais c'est en 1980, sous le gouvernement de Raymond Barre, que le Dr Monier engage avec les pouvoirs publics la plus dure des épreuves de force. A cette époque, le Premier ministre évoque en effet l'idée d'un système d'enveloppe globale pour limiter la croissance des dépenses d'assurance-maladie. C'est plus que les médecins libéraux ne peuvent accepter. D'autant qu'à ces menaces s'ajoutent les dispositions d'une nouvelle convention médicale instaurant le secteur à honoraires libres dont la création ne fait pas l'unanimité chez les médecins et qui est vivement condamnée par la CGT et la CFDT. Un axe CSMF-CGT-CFDT-FEN s'ébauche alors. Cela n'est pas du goût de tous au sein de la CSMF. L'autorité du Dr Monier commence à s'effriter. On lui reproche tout à la fois son style de présidence jugé autoritaire et cassant, certaines de ses orientations et ses trop bonnes relations avec la gauche qui vient d'arriver au pouvoir. Le président de la CSMF n'est plus guère soutenu que par certains syndicats départementaux, par un courant surnommé « vigilance et action », par les médecins de groupe et par les psychiatres. Le compte n'y est pas. Sachant qu'il ne sera pas réélu, il préfère ne pas se représenter à la présidence lors de l'assemblée générale de décembre 1981 et il cède la place au Dr Jacques Beaupère. « Ce n'est pas facile de faire de la médecine sociale avec les médecins libéraux tels qu'ils sont », lâche alors, amer, le Dr Jacques Monier.
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