Un entretien avec le ministre des Affaires sociales du gouvernement Juppé
Le QUOTIDIEN DU MEDECIN
Comment accueillez-vous le mouvement de protestation de l'hospitalisation privée, un mouvement semble-t-il très suivi et lancé par les responsables et les médecins des cliniques ?
JACQUES BARROT
Ce mouvement est très largement justifié, car on a nettement l'impression que l'hôpital public a fait l'objet d'une attention soutenue de la part des pouvoirs publics et du gouvernement, alors que, dans le même temps, le secteur privé devait se contenter de bonnes paroles. Mais surtout, toutes ces manifestations de colère risquent de se révéler particulièrement préoccupantes dans l'avenir pour la santé des Français. Car l'hospitalisation privée ne joue pas seulement un rôle complémentaire, comme dans certaines disciplines médicales, en gynécologie et en chirurgie, par exemple, elle est indispensable au bon fonctionnement du système de soins.
Une impasse
Que faudrait-il faire pour calmer les esprits ?
On paye en réalité aujourd'hui le fait qu'on n'a pas beaucoup avancé sur l'harmonisation des tarifications entre le secteur public et le secteur privé. Dans ce but, on devait généraliser la tarification à la pathologie. Ce n'est toujours pas fait.
Du coup, nous sommes dans une impasse, car il y a une distorsion incontestable entre les moyens dont bénéficient les hôpitaux et ceux des cliniques. Par conséquent, on comprend que celles-ci aient bien été obligées de garder une ligne salariale relativement modeste par rapport à l'hôpital.
Manifestement, il y a un a priori. Il est peut-être, en partie, idéologique, et en partie exercé pour des raisons purement électorales, comme on l'a vu avec la forte intervention du Parti communiste en direction des hôpitaux au cours du débat parlementaire et des discussions lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l'Assemblée nationale.
Mais plutôt qu'une réelle volonté délibérée de nuire, je crois surtout que le gouvernement, dans cette affaire, se trompe complètement d'analyse, n'a pas une vision claire de la situation réelle et surtout ne prête guère d'attention aux difficultés rencontrées en pratique par les responsables de l'hospitalisation privée. C'est aussi le résultat d'une politique par à-coups : on lâche des milliards à l'hôpital, pendant que l'hospitalisation privée supporte tant bien que mal ses problèmes. Il n'y a pas de politique précise en ce domaine, avec des objectifs annoncés et réalistes. A moyen ou à long terme.
Une gestion le plus souvent rigoureuse
Reste que les syndicats de salariés, ou encore le Syndicat national des cadres hospitaliers, ne trouvent pas normal que les cliniques appellent au secours l'Etat, donc le contribuable, alors qu'elles sont des établissements privés qui n'ont pas su forcément faire preuve d'une bonne gestion de leurs établissements.
Premièrement, les cliniques privées, dans leur très grande majorité, sont conventionnées. Cela signifie que la prise en charge tarifaire est fixée par les caisses, qui n'ont pas la réputation d'être laxistes, et qui, au contraire, sont très souvent sévères.
De plus, dans l'ensemble, le passé des cliniques montre qu'elles ont été gérées de façon rigoureuse. Deuxièmement, c'est oublier qu'il y a eu un fort mouvement de concentration dans les cliniques privées depuis plusieurs années, dont l'objectif est précisément de dégager des marges bénéficiaires. C'est ce qui se passe par exemple à Lyon, et dans la région Rhône-Alpes actuellement, comme cela s'est passé aussi dans d'autres régions. Certes, il reste ici ou là des établissements qui mériteraient d'être mieux gérés, mais, globalement, le reproche qui est fait d'une gestion mal assurée, mal conduite, n'est pas fondé et ce qui était indispensable pour assurer une bonne gestion a été fait.
On a l'air, dans le même ordre d'idées, de sous-entendre que l'hospitalisation privée cherche à faire du profit au détriment des malades. Pourtant, il est très loin le temps où les cliniques remplaçaient la qualité des soins par l'épaisseur des moquettes !
On ne saurait oublier non plus que ce secteur a fait évoluer la médecine dans de nombreux domaines, comme la chirurgie de jour ; il a permis également une émulation dont ont bénéficié directement les hôpitaux.
Grâce aux agences régionales d'hospitalisation, il y a une complémentarité public-privé qui marche très bien sur le terrain. Dans mon département de la Haute-Loire, au Puy-en-Velay, on a réussi à trouver la juste répartition qu'il fallait entre l'hôpital et la clinique, de façon équitable. Brioude offre encore également un modèle de répartition équitable.
Ce n'est pas maintenant, alors même qu'on est parvenu à ce résultat, que le gouvernement peut laisser péricliter le secteur de l'hospitalisation privée et pénaliser les cliniques, qui ont déjà bien du mal à vivre.
Question de confiance
Le choix de recourir à une grève totale, qui suppose de refuser au moins toute nouvelle admission jusqu'à nouvel ordre, vous paraît-il cependant acceptable ?
Je ne suis pas l'apôtre de la grève générale, et j'espère surtout que l'on parviendra à trouver une solution rapidement afin d'éviter une telle extrémité et tout drame, mais je comprends que les dirigeants des cliniques en soient là. Ce milieu est conscient de ses responsabilités.
Encore faut-il quelques signes tangibles de la part du gouvernement pour que l'hospitalisation privée reprenne confiance.
Il est clair que nos amis de l'hospitalisation privée doivent mesurer leurs responsabilités. Il est très dommage d'en arriver là, mais ce ne serait pas le cas si le gouvernement n'avait pas passé par pertes et profits les problèmes des établissements privés.
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