LE QUOTIDIEN
Vos déclarations sur la priorité que devrait donner l'assurance-maladie obligatoire aux maladies graves et coûteuses ont soulevé de vives réactions. Pouvez-vous préciser vos propos ?
JACQUES BARROT
Il y a eu incontestablement une déformation de mes propos initiaux. Je n'ai jamais voulu faire le partage strict des champs d'action de l'assurance-maladie obligatoire et des assurances complémentaires à travers le gros risque et le petit risque. Qu'est-ce que j'ai voulu dire ?
La première chose, c'est que les thérapeutiques innovantes contre les graves maladies vont exiger des moyens considérables dans les années qui viennent, avec des méthodes d'investigation qu'il faut mettre à la disposition de tous. Par conséquent, le régime de base de l'assurance-maladie va être très sollicité : je pense notamment au plan cancer, qui ne réussira que si l'assurance-maladie obligatoire s'engage totalement. Cela veut dire que les alliés de la Sécurité sociale, que sont les complémentaires, doivent avoir une politique plus active pour couvrir ce qu'on appelle le petit risque mais qu'on peut nommer simplement le risque de maintien en santé. Le problème, c'est que tous les Français n'ont pas de couverture complémentaire, car la CMU a laissé de côté des revenus modestes en raison du plafond relativement bas d'assujettissement. Notre conclusion, c'est qu'il faut faciliter l'accès à la complémentaire pour tous, probablement par une aide personnalisée proportionnée aux revenus.
La part du fardeau
Tout de même, pour beaucoup, vos propos sont un ballon d'essai préparant une réforme de l'assurance-maladie qui diminuera le « panier de soins » remboursé par le régime de base. Que répondez-vous ?
C'est faux. Nous voulons améliorer globalement la couverture maladie en veillant à deux choses. D'un côté, c'est vrai, l'assurance-maladie obligatoire doit nous permettre de financer un très bon soin, par un effort supplémentaire sur les maladies graves, car on ne peut accepter en France d'instaurer un système au rabais. Mais cela ne signifie pas que la Sécurité sociale doit exclure tous les petits risques. De l'autre côté, les assurances complémentaires, dès lors que tout le monde y a accès, devront prendre une part plus importante du fardeau. Je dis simplement : épaulons mieux l'assurance-maladie obligatoire pour qu'elle remplisse tout son rôle. Nous n'échapperons pas, dans ce cadre, à une clarification des rôles respectifs de l'assurance-maladie obligatoire et des complémentaires. En clair, il faudra mieux préciser les contours du « panier de soins », chantier qui a été confié à Jean-François Chadelat.
Marc Blondel estime que vos propos tournent le dos au système égalitaire et solidaire. Vous protestez ?
Totalement. C'est une hypocrisie majeure de dire que le statu quo est l'assurance de l'égalité ! Qu'est-ce que Marc Blondel répond à ceux qui n'ont pas de couverture complémentaire aujourd'hui ? Est-ce qu'il dit aussi qu'il faut que la Sécurité sociale prenne en charge la totalité des soins, y compris le maintien en santé, au risque d'empêcher l'assurance-maladie de pouvoir offrir aux malades les plus atteints les meilleurs soins et les progrès thérapeutiques ? Il ne faut pas faire de démagogie. On ne va pas, demain, éliminer les assureurs complémentaires. Veillons donc à ce que tout le monde puisse y avoir accès et à ce qu'ils jouent un rôle plus énergique.
Quand la gauche parle de changement de système, de « privatisation », vous vous inscrivez en faux ?
Oui. Au passage, je ne comprends pas que, du côté mutualiste, on ne s'insurge pas contre l'idée que l'intervention élargie des mutuelles soit identifiée à une privatisation. Le mutualisme assure une solidarité assurantielle non négligeable. C'est à la Mutualité de veiller à ce que, justement, les assurés aient aussi une très bonne couverture pour le petit risque. Il ne s'agit pas de sortir du système actuel mais de l'améliorer et de l'optimiser.
Vous attendiez-vous à une telle levée de boucliers ?
Bien sûr que non. Mais je suis inquiet. Si on ne peut aborder ce sujet sans que, immédiatement, on invoque avec une hypocrisie formidable des dangers qui n'ont pas lieu d'être, comme une Sécurité sociale à deux vitesses ou une privatisation, c'est franchement décourageant. Ce sont autant de spectres que l'on jette dans le public, alors qu'il faudrait que les Français réfléchissent à l'amélioration de leur protection sociale. Je vois dans cette affaire un mauvais présage pour les réformes qui devront améliorer notre système demain.
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