> Idées
L'ILLUSION rétrospective risque de nous faire situer tout au début, déjà en germe, ce que nous avons appris progressivement de Hitler. Il y a pourtant de saisissants condensés. Lui-même nous parle des quinze mois passés à Munich avant la guerre comme de la période «la plus heureuse de sa vie». Il le justifie par la joie d'être allemand, lui qui était né dans une petite ville autrichienne, Braunau sur l'Inn, si près de la frontière allemande.
En quittant Vienne, Hitler dit toute sa rancoeur pour l'empire des Habsbourg et sa politique prétendument proslave, sa haine pour une ville qui représentait la «Babylone des races» et un «mélange ethnique» dissolvant la culture allemande.
Sauf que l'illusion rétrospective est chez le futur dictateur lui-même, auteur d'une esquisse biographique rédigée en 1921 de manière auto-mystifiante mais révélatrice. La vérité est autre : il a quitté l'Autriche pour se soustraire au service militaire à Linz, il est allé à Munich dans l'espoir de se faire un nom comme architecte. Ce qui semble établi, c'est que la déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie, le 1er août 1914, l'a rendu fou de joie.
Le traumatisme de la guerre.
Terriblement important est la sortie de l'hôpital de Pasewalk le 21 novembre 1918. Le caporal Hitler, décoré de la Croix de fer, a été blessé, il regagne Munich. Le pays est vaincu, la République est proclamée. Il découvre une ville gérée par des rouges, une révolution fomentée par Kurt Eisner : agitateur, fomenteur de grèves, il est à l'extrême gauche, il est juif.
Une chose est sûre, dit gravement Ian Kershaw, «c'est la Première Guerre mondiale qui a rendu Hitler possible... Sans le traumatisme de la guerre, de la défaite et de la révolution, sans la radicalisation politique de la société allemande que ce traumatisme a provoqué, le démagogue n'aurait pas trouvé de public pour son message braillard et haineux».
... «Braillard», le terme est exact si on se souvient de l'agitateur de taverne, mais un peu inadéquat quand on mesure la redoutable efficacité de cette voix. En juin 1919, à Lechfeld puis à Augsbourg, Hitler est tombé sous la coupe de l'influent Karl Mayr, organisateur de cours de pensée politique et idéologique. Il se lance avec passion dans ces conférences et on découvre son extraordinaire pouvoir de faire vibrer les soldats venus l'écouter.
... «Haineux», l'un de ses tout premiers discours est consacré à la «question juive», il y explique que l'antisémitisme doit se fonder non sur une émotion mais sur des faits, le premier étant que la «juiverie» est une race et non une religion (16 septembre 1919).
On a affiné à l'infini, cherché la nanoseconde où, adolescent, la haine antijuive s'est emparé de l'individu Adolph Hitler. Ian Kershaw évoque un épisode où, dans la vieille ville de Vienne, il croise un personnage en caftan, le dévisage et se dit : «Est-ce là aussi un Allemand?»
Une chose est bien avérée : jusqu'à la fin, l'antisémitisme, en particulier l'idée que les Juifs sont à l'origine de la guerre, imprègne les discours hitlériens. Dans son discours du Nouvel An 1945, au moment où l'Allemagne est en cendres et où les Juifs ont subi l'abjection que l'on sait, il s'en prend encore à «la conspiration mondiale de la juiverie internationale».
Évitant, comme nous le disions plus haut, le survol historique consistant à dire que cela devait se passer ainsi, Kershaw montre les flottements, les béances, la lâcheté des socialistes qui ont fait que «Hitler n'avait pas eu à prendre le pouvoir... Le président du Reich (Hindenburg) le lui avait remis en le nommant chancelier».
«Jamais», conclut l'historien britannique, «pareille ruine, physique et morale n'avait encore été associée dans l'histoire au nom d'un seul homme».
Ian Kershaw, « Hitler », Grandes Biographies Flammarion, 1 132 pages, 32 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature