L’HOMMAGE EXTRAORDINAIRE que la presse française et internationale rend à Ariel Sharon est légitime, mais en contradiction avec les commentaires peu flatteurs qu’elle publiait à son sujet jusqu’à la fin de l’année dernière. Certes, le Premier ministre israélien, fusée politique, allait assez vite pour laisser dans son sillage agité des analyses périmées aussitôt après avoir été formulées. Quelques « spécialistes » du Proche-Orient n’ont toujours pas compris que, s’il était vrai qu’il eût changé, ce changement avait été ordonné par les principes immuables qui ont guidé son action pendant près de soixante ans : la sécurité à tout prix par l’occupation des territoires, ou l’évacuation des territoires, au nom de la sécurité.
Le risque de la paix.
Bien entendu, pendant des décennies, la survie d’Israël, considérée comme acquise jusqu’au moment où un président iranien a dit tout haut ce que pensent avec lui des millions de musulmans intégristes, a moins préoccupé les esprits que le sort des Palestiniens, ces « damnés de la terre » qui font à peu près tout pour ne pas voir l’issue de secours. En d’autres termes, on en a principalement voulu à Sharon de servir son propre peuple et de combattre ses ennemis déclarés.
Et puis, non seulement il a décidé l’évacuation de Gaza, aussitôt accueillie par les sarcasmes de tous ceux qui y voyaient une manipulation, mais il l’a assurée dans une dignité qui a rappelé au monde l’incroyable résilience du peuple israélien : tout en acceptant le maximum de désobéissance civile, Sharon a déplacé huit mille colons sans que fût exercé sur eux le moindre sévice, au nom de la majorité, qui veut la paix et qui est prête à en prendre le risque. Formidable exemple de comportement démocratique.
Un prétexte.
De sorte qu’il a bien fallu que change le discours convenu sur Sharon. On l’a donc comparé à de Gaulle, ce qui est flatteur, et même flagorneur, dans la bouche de ceux qui le vilipendaient naguère. Mais la comparaison est perfide, car elle fait des territoires une Algérie bis, alors que les deux situations historiques sont bien différentes. C’est la guerre de 1967, voulue par l’Egypte, qui a conduit les Israéliens en Cisjordanie et à Gaza ; c’est la menace permanente contre Israël qui les a incités à s’y installer ; c’est la violence du monde arabe, puis des Palestiniens, qui a contraint Israël à y rester. La France, elle, n’a jamais joué sa vie en Algérie. Elle s’en est d’ailleurs très bien passée.
Peu importe. Les comptes ne seront jamais réglés entre Israël et ses détracteurs : il y a des journalistes qui, aujourd’hui encore, dans leurs longues rétrospectives, continuent de présenter la promenade de Sharon sur l’esplanade des Mosquées comme le facteur déclenchant de l’intifada bis, alors qu’elle n’en a été que le prétexte ; ou d’attribuer à Sharon le massacre de Sabra et Chatila quand il a été commis par la Phalange chrétienne libanaise (il est vrai, sous l’?il indifférent des troupes israéliennes, mais ce n’est pas la même chose) ; ou de souscrire aux thèses d’Arafat sur les « bantoustans » palestiniens.
La question ne porte plus sur le passé, mais sur l’avenir : Sharon a-t-il laissé un héritage ? Malgré son âge, il n’a pas eu le temps d’achever son projet : les élections anticipées devaient lui donner une majorité parlementaire qui lui aurait permis d’évacuer quelques colonies de Cisjordanie et d’appliquer la fameuse feuille de route (qui avait prévu la création d’un Etat palestinien en 2005 !). Il s’était publiquement engagé à ne plus procéder à des évacuations unilatérales et à tenter de négocier avec Mahmoud Abbas. L’analyse selon laquelle la paix recule avec la disparition de Sharon n’est donc ni originale ni prématurée. D’autant que les Américains pesaient dans le sens d’un traité négocié entre Israéliens et Palestiniens et que le gaullisme israélien ne va pas jusqu’à l’antiaméricanisme.
Un problème de leadership.
Tout est perdu ? On est tenté de le croire parce que la crise proche-orientale est de nature passionnelle et ne peut donc être traitée que par de grands hommes (Rabin, par exemple). Ce qui va manquer, dans une politique de paix soutenue, c’est le leadership, c’est le charisme, c’est la popularité de Sharon. La classe politique israélienne ne manque pas d’hommes et de femmes remarquables, mais aucun, ou aucune, pour le moment, ne s’impose naturellement comme le chef d’une nouvelle majorité. On formulera donc deux pronostics.
Le premier scénario est à la fois pessimiste et probable : privé de Sharon, le parti nouveau-né Kadima perd lentement le soutien dont il bénéficie aujourd’hui et arrive exsangue aux élections. Lesquelles se traduisent par la formation de deux pôles de calibre identique : le Likoud et associés d’une part, les travaillistes et amis d’autre part. Une fois encore, Israël est ingouvernable, situation très favorable à la prise du pouvoir par le chef actuel du Likoud, Benjamin Netanyahu, hostile à toute évacuation et à tout accord avec les Palestiniens.
Pourquoi la majorité israélienne favorable à la paix désignerait-elle Netanyahu ? Parce que lui aussi invoque la sécurité, d’une manière d’ailleurs populiste qui lui a réussi par le passé. Ambitieux, proche des Américains, cet ancien Premier ministre peut tirer parti de la confusion populaire.
D’autant que les Palestiniens n’ont pas grand-chose à offrir sur le plan diplomatique. Le très respectable Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, n’est guère obéi par les diverses factions armées qui créent leurs propres enclaves à Gaza. La différence, par rapport à l’époque d’Arafat, c’est que M. Abbas est un humaniste qui veut construire un Etat, alors que son prédécesseur encourageait discrètement la violence tout en tenant deux langages : celui de la haine d’Israël pour les Palestiniens, celui de la paix pour les Occidentaux.
On ne cesse d’exiger d’Israël des concessions de toutes sortes ; mais personne ne remarque qu’il faut être deux pour faire la paix, ce qui justifie encore plus l’évacuation unilatérale de Gaza, et justifie aussi le fameux Mur dont le monde a fait une abomination, alors qu’il défend, on y revient, la sécurité des Israéliens. Quand on a additionné les critiques suscitées par le Mur, on a démontré sans effort que la vie des Israéliens est le dernier souci de la plupart des commentateurs, et même de bon nombre de gouvernements.
Bref, une éventuelle victoire de Netanyahu, c’est la reprise de l’intifada, le cycle violence-répression, les incursions militaires à Gaza, la décomposition des structures palestiniennes ou ce qu’il en reste.
Mais il y a un scénario optimiste. Dans les sondages, Kadima remporte 40 sièges s’il est dirigé par le numéro deux de Sharon, Ehud Olmert (ancien maire de Jérusalem), et 42 si Shimon Peres en prend la tête. Ce succès du mouvement créé par Sharon se confirmera-t-il dans les douze semaines qui viennent ? Pour Israël, et aussi pour les Palestiniens, on veut l’espérer.
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