Il y a du miracle et de la féérie dans cette proposition que l'on retrouve, quinze ans après sa création, aussi fraîche qu'au premier jour. Mais plus subtile et plus audacieuse encore qu'en 1988.
C'est à la demande de Frédéric Franck et Stéphane Lissner, les directeurs du théâtre de la Madeleine, que Sami Frey enfourche à nouveau son vélo - ce n'est plus celui de la création... - et nous distille de sa voix suave, grave, enchantée les 480 « Je me souviens » de celui qu'il ne rencontra jamais mais qui lui est comme un frère par-delà le temps. Georges Perec, trop tôt disparu, était comme Sami Frey né de parents exilés en France, originaires de Pologne et de culture juive. Des parents morts prématurément pour ces deux garçons qu'un an séparait. Oui des frères, oui un effet de reconnaissance bouleversant pour Sami Frey lorsqu'un jour il ouvrit ce petit volume mince publié en 1978, la boîte de Pandore des « Je me souviens ».
Le comédien avait proposé la version scénique du texte pour un hommage à Perec qu'Alain Crombecque avait mis à l'affiche du festival d'Avignon en 1988. C'est Jean-Marc Stehlé, le scénographe de Benno Besson, qui a inventé le dispositif. Sami Frey, cycliste amateur de belle discipline, avait immédiatement imaginé le vélo et voulait un déplacement continu et imperceptible... Une contrainte oulipienne qui répond de celle du texte.
On retrouve donc ces pans de soie bleu-vert, ailes de papillon des lointains, montagnes étranges qui jouent les rideaux de scène. Puis, dans la nuit, apparaît le phare de notre champion et le doux crissement des roues entraînées par les coups de pédale harmonieux de l'athlète tandis que bougent les masses soyeuses. C'est inouï et simple. C'est fraternel, drôle, tendre. C'est beau.
Si le principe demeure identique à celui de la création, l'interprète ne se contente pas de redite. Sami Frey nous offre d'une manière encore plus audacieuse, moirée, changeante avec accélérations des rythmes, pauses, articulation, modulations subtiles, ces « petits morceaux de quotidien, des choses que, telle ou telle année, tous les gens d'un même âge ont vues, ont vécues, ont partagées, et qui ensuite ont disparu, ont été oubliées ». Avec la discrète musique de Gavin Bryars, le travail du son de Pablo Bergel, les lumières de Franck Thévenon, et cette féérique machine construite à Genève - il y a deux tours dont une tournette sous les pans de soie - tout ici concourt à l'enchantement. Jusqu'au mur de la Madeleine, granité et magique lui aussi...
Théâtre de la Madeleine, à 20 h 30 du mardi au samedi (01.42.65.07.09). Jusqu'au 31 décembre. Durée : 1 h 15 sans entracte. Le texte de Perec (Hachette) est republié avec le programme et le disque des éditions Des Femmes est encore disponible.
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