Bush peut-il envisager le retrait de ses troupes ?

Irak : une perche à saisir

Publié le 07/06/2004
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EN UN AN, George W. Bush a beaucoup changé : il était unilatéraliste, il devient multilatéraliste ; il méprisait l'ONU, il la sollicite ; il se passait de l'avis de ses alliés, il négocie avec eux aujourd'hui pour trouver un texte de résolution qui recueille l'assentiment général.
Tactiquement, il n'a cessé de reculer. Avec le scandale des prisons irakiennes, il a perdu le dernier argument en faveur de la présence des soldats américains en Irak.

La disgrâce de Chalabi.
Il a laissé deux ou trois de ses proches envisager l'évacuation d'un pays dès lors, ont-ils dit, que la présence des Américains n'y est pas souhaitée. M. Bush voulait un gouvernement provisoire à sa botte, il ne l'a pas eu et le nouveau Premier ministre irakien a demandé la « pleine souveraineté » de son pays, rejoignant de la sorte la France, l'Europe et la Russie. Il voulait en découdre avec la milice de Moqtada Sadr, à laquelle les forces américaines ont effectivement porté des coups très durs, mais il a laissé en liberté le dangereux agitateur.
Pendant un an, il s'est appuyé sur Ahmed Chalabi, entré en Irak avec les fourgons américains. Voilà qu'il le met à l'index, qu'il l'accuse de partager des informations sensibles avec l'Iran, qu'il lui coupe les vivres, qu'il fait perquisitionner sa maison.
M. Bush, qui n'a jamais mis en cause aucun de ses ministres ou de ses hauts fonctionnaires, laisse partir le directeur de la CIA, George Tenet, l'homme qui a réussi à ne pas prévoir les attentats du 11 septembre, qui a quand même contribué à la grande imposture sur les armes de destruction massive, et qui, muni de moyens financiers et juridiques sans précédent, ne peut même pas dire aujourd'hui où et quand se produira le prochain attentat.
A part ça, M. Bush n'est fâché avec personne : le pape a dit pis que pendre sur l'intervention de la coalition en Irak, il a tenu quand même à lui rendre visite ; il s'entend fort bien avec Jacques Chirac, il n'a aucun adversaire en Europe. On doit d'ailleurs lui accorder ce talent de ne jamais reconnaître ses erreurs, d'inscrire ses contradictions dans une continuité artificielle et de ne pas ciller face à l'échec, comme s'il ne pouvait lui arriver aucun désagrément auquel il ne sût porter remède.

UN CHOIX PERILLEUX ENTRE GUERRE ET PAIX, VICTOIRE OU DEFAITE AUX ELECTIONS

Deux tactiques, deux risques.
Mais cet optimisme formel n'ôte rien aux obstacles placés sur son chemin politique. A cinq mois des élections, qu'est-ce qui est préférable ? Qu'il tire un trait définitif sur l'Irak, ce qui lui permettrait d'annoncer le retour des troupes, au risque toutefois de dicréditer son pays dont tout le monde clamerait le déclin ? Ou de continuer à se battre sur le terrain, ce qui donnerait un minimum de cohérence à son projet, mais au risque que le coût de la guerre en vies humaines et en dollars le prive de son second mandat ?
Ce même caractère, qui l'autorise à franchir des crises par simple désinvolture (rien n'est jamais grave si on écoute M. Bush), peut le perdre. Un président plus sourcilleux se serait indigné de la médiocrité de ses services de renseignements et serait intervenu brutalement dans leur réorganisation ; il aurait demandé la démission de son secrétaire à la Défense, incapable d'assurer la sécurité des Irakiens (et des Américains) ; il se serait posé des questions sur ce vice-président un peu sinistre qu'est Dick Cheney ; il se serait lassé des conversations stériles avec Condoleeza Rice, jeune femme tellement brillante qu'elle ne sert à rien. Si M. Bush secouait son entourage, procédait à quelques limogeages, et se plongeait lui-même dans quelques dossiers, bref, s'il travaillait enfin, il pourrait donner à sa présidence une orientation plus ferme, moins idéologique, plus pragmatique.

Investissement et dividendes.
Ce n'est pas facile : il reste l'obligé du complexe militaro-industriel qui finance ses campagnes. Il dépend, pour les votes, de la droite chrétienne et, pour les idées, des néoconservateurs (qu'il devrait chasser sans pitié après le gâchis qu'ils ont causé).
Son vrai dilemme, c'est l'Irak : l'électorat peut se satisfaire d'un président qui déclarerait que la guerre est finie, que la victoire est remportée, que les troupes rentrent. Il peut aussi s'en indigner. M. Bush ne prend pas ce chemin-là : il a demandé et obtenu 25 milliards de dollars supplémentaires pour l'effort de guerre. L'investissement de l'Amérique en Irak, en vies humaines, en moyens, en argent, est tout simplement colossal. Et quand on on investit, c'est pour toucher des dividendes.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7555