« La Croix-Rouge française souhaite la poursuite obstinée des efforts en vue d'aboutir à une solution pacifique évitant aux populations de nouvelles et cruelles épreuves. » A l'instar des humanitaires, le Pr Marc Gentilini veut croire que la guerre n'est pas encore inéluctable. « Nous continuons de récuser (sa) nécessité, compte tenu des possibilités pacifiques de désarmement de l'Irak », déclarent dans un communiqué Action contre la faim, Médecins du Monde (MDM), Handicap international, Première Urgence, Solidarités Enfants du monde.
Comme le confirme encore le porte-parole du CICR (Comité international de La Croix-Rouge), Antonella Notari, il ne faut « surtout pas donner l'impression que nous sommes intégrés malgré nous à la machine de guerre qui se met en place » ; il n'empêche que les humanitaires eux aussi sont contraints de faire leurs préparatifs d'assistance aux victimes d'une éventuelle guerre en Irak.
Les quatre principales agences humanitaires de l'ONU ont battu le rappel financier et recueilli 25 millions de dollars (sur les 90 qu'ils avaient demandés pour faire face). Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), qui a des équipes en Irak, table sur une hypothèse de 600 000 réfugiés et a déjà dépensé plus de 20 millions de dollars pour acheter et prépositionner des stocks de matériels (tentes et couvertures). L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place des structures sanitaires susceptibles de soigner pendant trois mois quelque 240 000 Irakiens. Des installations qui se trouvent à Amman, mais aussi dans chacun des six pays qui ont une frontière commune avec l'Irak (Iran, Koweït, Syrie, Jordanie, Arabie Saoudite et Turquie).
Le PAM (Programme alimentaire mondial) est le plus alarmiste, avec une prévision de 900 000 réfugiés (déplacés et victimes de guerre) et pas moins de cinq à dix millions de personnes qui pourraient être affectées par le conflit et qu'il faudrait ravitailler. 6 000 tonnes de vivres ont d'ores et déjà été acheminées dans cette perspective en Turquie, en Iran, en Jordanie et en Syrie.
La région n'est certes pas terra incognita pour les humanitaires. « Cela fait vingt-trois ans que nous venons en aide aux populations civiles irakiennes », souligne-t-on au CICR. MDM est au Kurdistan depuis vingt ans et MSF est à l'œuvre depuis 1995 en Iran avec une équipe d'une dizaine d'expatriés. La section belge de l'ONG dispose depuis deux mois d'une équipe qui réalise des évaluations depuis Bagdad. D'autres équipes sont présentes en Jordanie et en Syrie (MSF Hollande et MSF Espagne).
La Croix-Rouge française est la seule à ce jour à avoir planifié une intervention en cas d'afflux de réfugiés dans les pays limitrophes de l'Irak : les 22 personnes généralement d'astreinte, prêtes à partir à tout moment sur un lieu de catastrophe internationale (naturelle, technologique ou conflit armé), un dispositif technique d'assainissement capable de traiter 300 000 litres d'eau par jour (soit les besoins de 30 000 personnes) et deux postes médicaux avancés (capacité de soins de base pour 20 000 personnes pendant trois mois).
Le droit humanitaire en question
Pour leur part, les ONG n'en sont pas là, concentrées qu'elles sont sur des évaluations et des négociations. Car entre les belligérants potentiels, la bataille pour un espace humanitaire souverain est lancée.
Ce n'est pas la première : « Nous observons depuis la guerre d'Afghanistan un phénomène d'érosion du droit international humanitaire, affirme Pierre Salignon, responsable de la mission crise Irak à MSF ; en Afghanistan, en effet, le traitement des prisonniers, le sort des blessés civils, l'utilisation de bombes à fragmentation ainsi que le parachutage à grand spectacle de vivres par les bombardiers américains avaient constitué autant de remises en cause de notre travail. »
A cet égard, la création par les Américains d'un Humanitary Office Center, basé au Koweit et commandé par un général, Jay Garner, a provoqué une levée de boucliers. L'action humanitaire n'est « pas une arme au service d'objectifs militaires », protestent dans un communiqué commun une demi-douzaine d'ONG françaises (...) Elle n'est pas le service après-vente de la guerre. Nous refusons de subordonner notre action sur le terrain à une autorité militaire qui est partie au conflit ».
A MDM, le Dr Gilles Ragun, directeur des opérations internationales, dénonce le « caractère insidieux » de la volonté de mise sous contrôle des ONG : « Elle s'effectue, estime-t-il, sous couvert de nécessité de coordonner les missions et surtout de garantir la sécurité des humanitaires. Nous avons régulièrement affaire à ce type de chantage, comme en Afrique, et nous sommes rompus à l'exercice qui consiste à passer clandestinement une frontière quand des militaires prétendent contrôler notre travail. »« Il y va du choix des populations qui ont besoin d'assistance, ajoute Pierre Salignon, sans être confiné aux seules régions censées être pacifiées, c'est-à-dire sous le contrôle d'une des parties. »
L'enjeu de l'autonomie humanitaire est encore plus mis à mal du côté irakien. Une équipe de six personnes de MSF doit s'envoler aujourd'hui ou demain pour Bagdad afin d'aller négocier avec les autorités le droit d'accéder aux hôpitaux du pays et d'y prêter assistance aux personnels locaux. Actuellement, constate Isabelle Merny (MSF), « nous sommes plutôt pieds et poings liés ». Et ce n'est pas d'hier, ajoute Pierre Salignon, que « les humanitaires ont le plus de peine à pousser la porte de ce pays ».
A la difficulté de se préparer aux conséquences forcément imprévisibles d'une guerre encore incertaine s'ajoute donc la pesanteur de pressions pour le coup bien présentes. Une pesanteur qui se traduit encore financièrement, les Etats-Unis restant le principal bailleur de fonds humanitaire. Qu'à cela ne tienne, promet Antonella Notari, « nous défendrons férocement notre indépendance. Nous refusons d'être escortés ou encadrés par des militaires ».
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