La catastrophe humanitaire n'a pas eu lieu. Pas de déplacements massifs de populations, comme le redoutaient les ONG. Pas de sanglante guérilla urbaine. Pas de famine, ni d'épidémies. Des hôpitaux qui, dans l'ensemble, après une semaine dans le maelström de la « libération », continuent à fonctionner cahin-caha. Déjà mis à mal par les douze ans d'embargo et la dictature de Saddam Hussein, le système de santé semble avoir tenu le choc.
« Sur la trentaine d'hôpitaux que compte Bagdad, la moitié fonctionne aujourd'hui plutôt bien, a pu constater le Dr Daniel Roux, chirurgien cardio-vasculaire, qui rentre d'une mission d'évaluation pour le compte du collectif monté par La Chaîne de l'Espoir ; leurs infrastructures sont en bon état, avec des scanners et même une IRM. J'ai visité un superbe laboratoire d'anatomie. Les fluides médicaux comme l'oxygène, l'eau et l'électricité sont de retour, ainsi que le personnel, même s'il n'est toujours pas payé. Les blessés de guerre ont été dans l'ensemble traités et on soigne à présent les complications chirurgicales secondaires, avec pas mal d'infections, ainsi que les victimes des bombes à sous-munitions, plusieurs dizaines touchées tous les jours. »
Le même diagnostic
Mais la détresse médicale est omniprésente : « Dans les rues de Bagdad, je me suis fait plusieurs fois arrêté par des Bagdadi qui me demandaient secours, poursuit le Dr Roux, l'un pour une sténose pulmonaire, un autre pour une grosse malformation génitale, un troisième qui suppliait qu'on lui donne des sédatifs pour soulager sa femme atteinte d'un cancer digestif terminal. »
Dans l'ensemble, les ONG portent le même diagnostic sur l'état des hôpitaux dans les villes. « Hormis pendant la période des pillages, note le Dr Jean-René Bradol, président de Médecins sans Frontières France, les hôpitaux ont bien encaissé les événements, principalement grâce au très bon travail préparatoire du Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge irakien, qui avaient constitué des stocks pour tenir sans saturer, jusqu'au rythme d'une centaine d'admissions/jour. »
« Mais aujourd'hui la principale menace vient de l'effondrement administratif des structures dans un pays qui se retrouve sans service public. Plusieurs directeurs revendiquent le pouvoir à l'intérieur même de chaque hôpital, pour le compte du lobby religieux ou des tenants de la privatisation du système de santé. »
Dans le même temps, « les ordures s'amoncellent, observe-t-on à Première Urgence ; les rats ont fait leur apparition et certains hôpitaux sont obligés d'enterrer leurs morts dans leur jardin ».
« C'est surtout les moyens logistiques qui ont besoin d'être réhabilités, estime le Dr Marie-Ange Silicani, de retour du Kurdistan, responsable de la mission Irak de Médecins du Monde : il faut revoir les adductions d'eau et les réseaux électriques, c'est plus urgent que les approvisionnements en matériels ou en consommables médicaux. »
Ceux-ci ont recommencé à être acheminés vers la capitale en même temps que l'aide alimentaire. Jeudi dernier, un convoi humanitaire avec 214 tonnes de farine du Programme alimentaire mondial a franchi la frontière jordano-irakienne. Le même jour, 28 employés de diverses agences onusiennes reprenaient pied dans le pays, via la frontière turque de Erbil. Même si les forces américaines ont jusqu'à présent refusé, pour des raisons mal élucidées, d'ouvrir un couloir aérien humanitaire, par les routes du nord et du sud, des camions par milliers acheminent argent, nourriture et médicaments pour un budget de 1,7 milliard de dollars collecté à l'appel des Nations unies.
La question logistique, là encore, prime : « Maintenir le pipeline alimentaire et humanitaire ouvert afin d'éviter la pénurie et nourrir 27,1 millions d'Irakiens dans les mois à venir, soit la plus grande opération humanitaire du PAM », explique-t-on à l'ONU.
Les semaines qui viennent vont être cruciales en termes épidémiques. « Nul ne peut pronostiquer ce qui peut advenir dans trois mois », assure le Dr Jacques Bérès (Aide médicale internationale), rentré après quatre semaines passées à opérer sans désemparer à Bagdad (« le Quotidien » du 9 avril). Quand on lui demande quel souvenir il gardera de sa mission en Irak, le vieux baroudeur évoque la réaction de l'infirmière irakienne qui venait d'assister à sa première opération au Saddam Center : « Longue vie à vos mains ! », s'était-elle écriée .« C'est pour des moments comme celui-là qu'on fait de l'humanitaire », lâche le cofondateur de MSF et de MDM.
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